Le Corner
·16 mars 2024
Le Corner
·16 mars 2024
En 1954, l’équipe nationale d’Allemagne émerge sur la scène du football en remportant son premier sacre mondial face à la très grande favorite, la magnifique Hongrie de Puskas, Koscis et autres Czibor : la victoire d’une équipe disciplinée, dure et cynique face à celle qui pratiquait unanimement le plus beau football de sa génération. Cette victoire fondatrice influencera durablement l’identité de la Nationalmannschaft par la suite.
A la fin des années 1960, un certain changement dans le football européen, jusqu’alors outrageusement dominé par les équipes latines, se constate. Le paradigme commence à changer en 1966, quand l’Angleterre et l’Allemagne se rencontrent en finale de la Coupe du monde à Wembley. Les clubs suivront, d’abord avec les sacres des équipes britanniques en Coupe des clubs champions : le Celtic Glasgow en 1967 face à l’Inter, puis Manchester United en 1968, face au Benfica, deux mastodontes du football latin. Puis, au début des années 1970, ce sont deux générations dorées qui vont venir confirmer l’avènement du football d’Europe du Nord, avec d’un côté une génération néerlandaise incroyable, principalement formée à l’Ajax d’Amsterdam et avec comme figure de proue un des meilleurs attaquants de l’histoire, Johan Cruyff. De l’autre une équipe allemande, dirigée d’une main de fer par son capitaine Franz Beckenbauer, le défenseur du Bayern Munich. Rapidement, ces deux générations conquièrent l’Europe, en club comme en sélection.
Si ces deux générations ont en fait plus de points communs qu’on ne le pense, elles ne pourraient pas être perçues comme plus différentes par les observateurs de l’époque. Les Néerlandais, sous la houlette du légendaire Rinus Michel, développent le totaalvoetbal. Un jeu ultra offensif, étouffant pour l’adversaire, marqué par le mouvement permanent vers l’avant, qui séduit et enchante les amoureux du beau jeu. Si les Allemands jouent également un beau jeu, avec comme point d’orgue l’Euro 1972, ils font malgré tout pâle comparaison avec les Oranjes.
Surtout, ces deux générations dorées vont s’affronter dans un duel au sommet, en finale de la Coupe du Monde 1974. Et, comme vingt ans plus tôt, si c’est le totaalvoetbal néerlandais qui a captivé les amoureux du ballon rond, à la fin, c’est bien l’Allemagne qui gagne. Cette victoire allemande, loin d’être déméritée au vu de son effectif pléthorique, de sa finale et de son parcours, va rapidement être comparée à celle de 1954 et va même venir confirmer cette sélection comme un bourreau du beau jeu. Les victoires étriquées du Bayern Munich en Coupe d’Europe 1975 et 1976 viennent raffermir ce sentiment.
Surtout que les joueurs allemands de cette génération sont alors assez loin d’être aimés du grand public international. Très physiques, un poil truqueurs, forts en gueule, à la limite de l’insolence et pas exactement des parangons de vertus et fair-play, les Paul Breitner, Günter Netzer et autres Bernd Hölzenbein agacent. De plus, les embrouilles entre ces grosses personnalités sont largement relayées et publiques : Netzer, patron du Borussia Mönchengladbach, refuse l’autorité du Kaiser Beckenbauer ? Hop, direction le banc. Breitner fait pareil ? Allez, il quitte la sélection et refuse d’y jouer tant que Franz y sera. La Fédération allemande empêche les épouses des joueurs de participer aux célébrations de la victoire de 1974 ? Müller claque la porte, à seulement 28 ans.
Le début des années 1980 suit la même courbe. Si le Kaiser Beckenbauer et le Bomber Müller sont partis conquérir l’Amérique (et ses dollars), les Allemands continuent de dominer le football international. Et, on ne peut pas vraiment dire que cela séduit le grand public. L’Euro 1980 voit le triomphe sans gloire de la Nationalmannschaft face à la Belgique, dans un tournoi sans coup d’éclat et rapidement oublié.
Si elle a du mal à se faire aimer, cette nouvelle génération allemande, bien que moins forte que ses aînés, est cependant extrêmement redoutable et, lorsque débute la Coupe du Monde 1982 en Espagne, les champions d’Europe en titre font partie des grands favoris.
Avant même que ne débute la Coupe du monde, la sélection allemande parvient déjà à s’embrouiller. La faute au jeune mais génial milieu de terrain barcelonais Bernd Schüster. Bien que membre de l’équipe championne d’Europe en 1980, le jeune prodige a déjà eu le temps de quitter Cologne dans le drame et de s’être mis à dos une bonne partie du vestiaire allemand avec son caractère de cochon. Surtout, il n’a pas vraiment apprécié le retour de Paul Breitner, qui joue maintenant au même poste et lui aussi grande gueule devant l’éternel. Il faut dire que Paulo, après un passage controversé au Real Madrid puis à l’Eintracht Brunswick, connaît son prime sportif. Beckenbauer parti, il revient au Bayern et, repositionné milieu offensif, forme un tandem génial avec le double Ballon d’Or Karl-Heinze Rummenigge. Ensemble, le duo parvient à refaire du Bayern l’ogre européen qu’il était avec Franz et Müller, bien que moins fort.
Patron incontesté de la sélection, Kalle encourage son aîné et mentor à revenir en sélection. Et tant pis pour Bernd, on fera sans lui. Le sélectionneur, Jupp Derwall écarte l’ange blond, qui, vexé, ne rejouera plus jamais sous les couleurs allemandes.
Jupp Derwall, un homme de style
Hormis Breitner qui remplace poste pour poste Schuster, Derwall emmène avec lui la colonne vertébrale qui lui a permis de soulever l’Euro deux ans plus tôt. Aux cages, c’est le Kölner Harald Schumacher qui sera titulaire, avec devant lui une défense à trois ou à quatre en fonction des adversaires : Uli Stielike, le libéro du Real Madrid, a hérité du rôle de Beckenbauer. S’il n’est pas aussi bon que Franz, il est alors l’un des tous meilleurs joueurs du monde à son poste avec l’Italien Sciera. Autour de lui, les deux frères Förster et Hans-Peter Briegel s’occupent d’apporter une dimension physique à la défense teutonne. Enfin, sur le côté droit, le latéral Manfred Kaltz monte énormément et centre à foison. Au milieu, c’est donc Paul Breitner qui s’est imposé comme milieu offensif au côté de Karl-Heinze Rummenigge. Le duo Breitnigge est complété sur les ailes par Littbarski et Magath et devant, Derwall a plusieurs options, entre les serials buteurs Klaus Allofs et Horst Hrubesch. Enfin, l’expérimenté Klaus Fischer et le jeune Reinders s’imposent comme les principaux supersubs du sélectionneur. Notons également la place sur le banc du tout jeune Lothar Matthaüs. Les milieux de terrain bavarois Dremmler et intériste Hansi Müller viennent compléter ce groupe assez exhaustif.
La sélection semble bien s’entendre qui plus est. On apprendra par la suite que le camp de préparation de la sélection allemande, situé à côté du lac Schluch, accueille des fêtes de débauche, auxquelles se livrent les joueurs. Ils surnomment même le lac « Schlucksee », soit le « lac de la picole ». Les joueurs rentrent soi-disant de la pêche à 5h du mat’ et Uwe Reinders, l’un des remplaçants, se blesse pendant le stage de préparation. Il déclara ensuite à la presse se soigner à coups de grands verres de Campari.
Un joueur de l’équipe dira même plus tard que : « La discipline était pratiquement inexistante. La plupart des gens étaient des nocturnes, on faisait la fête. On jouait aux cartes. Il y avait aussi un défilé de mode organisé par un styliste de Düsseldorf. Les mannequins venaient de temps en temps chez nous. A cela s’ajoutaient les visites de prostituées, les sorties nocturnes et bien d’autres choses encore ». Il complètera : « Pour une Coupe du monde, c’était une préparation misérable. Chacun faisait ce qu’il voulait ». Breitner mène évidemment la danse et se fait même engueuler devant l’équipe par son ancien coéquipier Berti Vogts parce qu’il est « trop bourré pour s’entrainer ». Dans son autobiographie, Harald Schumacher lui jettera quand même des fleurs en reconnaissant que « c’est le seul qui pouvait se coucher à 5h du matin et ne pas rater une passe à l’entrainement le lendemain ».
Ça commence bien.
Cependant, les joueurs allemands ne viennent pas en Espagne pour faire de la figuration. Invaincus pendant la phase qualificative, ils ont marqués 33 buts pour trois encaissés en huit matchs. Surtout, les clubs du Bayern et de Hambourg, qui fournissent la majeure partie des joueurs de l’équipe nationale, viennent de perdre respectivement les finales de Coupe des Champions et de Coupe UEFA, alors qu’ils étaient tous deux favoris. Revanchards, les Allemands arrivent sûrs de leur force, avec la victoire comme seul objectif.
L’Allemagne a hérité d’un groupe composé du Chili, de l’Autriche et de l’Algérie. Si les Sud-Américains sortent d’une très belle Copa America 1979, où ils n’ont échoué qu’en finale face au Paraguay et n’ont pas encaissé un seul but durant la phase éliminatoire, seuls les Autrichiens font peur à l’Allemagne. Il faut dire que, menés par Hans Krankl, ils ont éliminé l’Allemagne quatre ans plus tôt lors de la Coupe du monde 1978. Ce match avait alors fait grand bruit en Allemagne, surnommé aujourd’hui encore « Die Schmach von Córdoba », soit « la honte de Cordoba ». L’Algérie, qui joue alors sa toute première Coupe du monde, fait figure de petit poucet et la plupart des observateurs l’imagine déjà terminer bonne dernière, bien qu’elle ait atteint la finale de la Coupe d’Afrique deux ans plus tôt face au Nigéria et ait pris sa revanche face à ces derniers lors des éliminatoires africains à la Coupe de monde.
C’est d’ailleurs contre ces derniers que la Nationalmannschaft débute sa Coupe du monde, à Gijon. Arrogants au possible, les Allemands dénigrent totalement l’Algérie et se moquent ouvertement de leur adversaire. Le capitaine Rummenigge affirme ainsi que l’équipe « dédiera [son] septième but à leurs femmes, et le huitième à leurs chiens »… La manque de respect est tel que le défenseur algérien Merzekane confiera plus tard qu’ils pensaient que les provocations allemandes étaient pensées : « Un joueur a même dit qu’il jouerait contre nous avec un cigare à la bouche. Certains d’entre nous se demandaient s’il ne s’agissait pas d’un stratagème psychologique, s’ils ne disaient pas cela pour nous faire croire qu’ils ne nous prendraient pas au sérieux – après tout, qui a déjà entendu parler d’une équipe allemande qui ne fait pas ses devoirs ? ».
Mais non, les Allemands sont tellement dédaigneux qu’ils n’étudient absolument pas le jeu de leurs adversaires, Derwall déclarant même à la presse que « les joueurs me prendraient pour un idiot si je voulais leur parler du football des Algériens » et va même plus loin en affirmant que « si nous perdons contre l’Algérie, je rentrerai chez moi en train ».
Tout l’inverse de son homologue algérien, Rachid Mekloufi, qui a bien cerné les montées du très offensif latéral Manni Kaltz. Il va dire à ses joueurs d’exploiter au maximum les espaces qu’il laisse sur son côté droit. Alors que Derwall s’attend à faire face à un bloc bas et compact, il change un peu sa copie habituelle pour la rendre plus offensive : défense à quatre, avec Briegel et Kaltz sur les côtés et Karl-Heinze Förster et Stielike en charnière centrale. Au milieu, le Bavarois Dremmler assure seul l’assise défensive, alors que Breitner va énormément monter soutenir une attaque forte de quatre joueurs, Magath, Rummenigge, Hrubesch et Littbarski.
Cependant, cette formation ultra offensive ne fonctionne pas. En surnombre en attaque, les Allemands se marchent dessus. Rummenigge en particulier ne parvient pas vraiment à trouver sa place et atterrit rapidement sur l’aile droite et fait doublon avec Littbarski. Cela a pour conséquence de restreindre le nombre de centres de ce dernier et de Kaltz vers Hrubesch qui, hormis son incroyable jeu de tête, est un avant-centre assez limité. Les Allemands manquent alors énormément de tranchant, avec une possession stérile dans la surface adverse.
Tout l’inverse de l’Algérie, qui se montre très solide en défense et dangereuse sur chaque contre-attaque. Stielike, Breitner et Kaltz jouent très haut et les Allemands se retrouvent souvent à jouer les contre-attaques algériennes à 2 ou 3 contre 5. Derwall ne daigne pas effectuer de changement et à l’heure de jeu l’Algérien Madjer ouvre le score sur une belle contre-attaque venue du côté droit. Les consignes du sélectionneur Mekloufi sont parfaitement appliquées par ses joueurs qui exploitent parfaitement les montées offensives de Kaltz et de Stielike. Les Allemands blêmissent et commencent à perdre leurs nerfs. Sur l’occasion allemande suivante, Rummenigge passe un savon à Littbarski qui tente sa chance de loin plutôt que de faire la passe au double Ballon d’Or. Heureusement pour eux, sur un exploit individuel, Magath élimine deux joueurs sur son côté gauche et centre parfaitement pour Kalle à la 68e. Egalisation, les Allemands peuvent souffler. Sauf que, moins d’une minute plus tard, les Algériens forcent sur le flanc droit allemand une nouvelle fois et un Kaltz apathique laisse Assad centrer pour Belloumi qui redonne l’avantage aux Fennecs. Les Allemands poussent mais, trop brouillons, ne parviennent pas à égaliser. C’est la stupeur. Les supporters algériens, venus en nombre en Espagne, exultent. Derwall, qui n’a effectué qu’un seul changement à la 82e, poste pour poste qui plus est, s’est complètement fait manger par l’excellente tactique de Mekloufi.
Kalle s’agace
Une leçon d’humilité vous pensez ? Que nenni. Alors qu’un journaliste du Bild lui demande s’il existe une ligne de train directe entre Gijon et la Sarre, où il vit, le sélectionneur charge ses joueurs après le match et les blâme d’avoir perdu contre des « nains du football ». Décidément quand on est con…
Cependant, les joueurs d’expérience qui composent l’équipe en ont vu d’autres. Ils savent qu’ils doivent réagir au prochain match face au Chili, qui vient de perdre son match d’ouverture face à l’Autriche. Malgré ses défauts, Derwall connaît bien ses joueurs. Afin de piquer leur orgueil, il aligne la même composition d’équipe et les prévient qu’ils sont déjà dos au mur. Breitner, en joueur aguerri, accepte de reculer et d’aider Dremmler sur les phases de replis défensives, ce qui laisse plus de place dans l’axe pour Rummenigge, qui va redescendre assez bas, en position de faux neuf, et laisse le côté droit à Littbarski, qui va enfin pouvoir exprimer pleinement ses qualités. Manni Kaltz, malgré son match d’ouverture catastrophique, reste un patron et l’un des meilleurs latéraux de son époque. Blessé dans son ego et bien engueulé par Breitner et Rummenigge, les rivaux bavarois, il aborde son match avec beaucoup plus de concentration. Quant à Rummenigge, quelques semaines seulement après la défaite surprise de son Bayern en finale de la Coupe des clubs champions face à Aston Villa, il sait que son statut est en jeu et compte bien montrer au monde pourquoi il est alors unanimement considéré comme le meilleur joueur européen du moment.
Face à un Chili en crise, Rummenigge ouvre le score dès la 10e minute, d’une frappe enroulée devant la surface adverse. Le gardien chilien, Osben, fait une Arconada. Parfait pour la confiance. En deuxième mi-temps, les Allemands déroulent. Un centre parfait de Littbarski pour Rummenigge d’abord, puis Kalle en met un troisième d’un magnifique extérieur du droit, après une superbe une-deux avec Magath. Derwall fait enfin tourner, Matthaüs et Reinders rentrent. Ce dernier profite des larges espaces laissés par les Chiliens pour en mettre un quatrième. Message passé, les Allemands se sont réveillés. Pendant ce temps, l’Autriche parvient à battre l’Algérie et la dernière journée s’annonce trépidante.
La dernière journée du groupe est alors particulièrement tendue : si le Chili pointe à zéro et est (quasi) déjà éliminée, l’Allemagne, l’Autriche et l’Algérie peuvent encore toutes prétendre à la qualification. Les victoires valent alors deux points ; l’Autriche est en tête avec quatre et déjà virtuellement qualifiée, elle pourrait néanmoins tout perdre à la différence de buts en cas de grosses victoires allemandes et algériennes. Quant à ces dernières, toutes deux à deux points, la victoire est obligatoire.
Sauf que les dés sont pipés. Pour des raisons de retransmissions TV, les deux matchs ne se jouent pas en même temps et l’Algérie joue son match décisif un jour avant l’Allemagne. Si les Algériens mènent trois zéro, ils relâchent complètement leur concentration et prennent deux buts largement évitables en seconde période. Pire, ils passent tout près de l’égalisation. Défaits deux à zéro contre l’Autriche lors de la journée précédente, ils accusent maintenant une différence de buts de zéro, alors que les Allemands, après leur large victoire face au Chili, pointent à +2. Une simple victoire leur suffit pour se qualifier !
En Allemagne, l’élimination face à l’Autriche quatre ans plus tôt est encore dans toutes les têtes et l’on pense alors que les joueurs de la Nationalmannschaft vont essayer de faire subir au voisin ce qu’ils leur ont fait, la configuration étant assez similaire. S’ils gagnent par trois buts d’écart, c’est l’Autriche qui saute !
Le 25 juin, à Gijon, sur le même terrain qui avait vu le triomphe algérien quelques jours plus tôt, va se dérouler « le match de la honte ». Fidèle à sa composition, Derwall conserve l’équipe type des deux matchs précédents. Les Allemands rentrent bien dans le match et prennent rapidement possession du ballon. Littbarski, dans la continuité de son excellent match face au Chili, se montre particulièrement actif sur son aile et, à la 10e minute, centre parfaitement pour Hrubesch, qui n’a qu’à pousser la balle dans les buts adverses. Les Allemands continuent alors de garder le pied sur le cuir, mais se montrent assez peu entreprenants et rentrent au vestiaire virtuellement qualifiés et premiers du groupe, avec quatre points et une différence de buts de +3 . Les Autrichiens le sont également, deuxièmes à +2. Au retour des vestiaires, toujours aussi peu d’action. Un frisson saisit alors les spectateurs du stade. Le résultat fait l’affaire des deux équipes ! Et tant pis pour l’Algérie.
LIRE AUSSI – RFA – Autriche 82 : Le match de la honte
Alors que les deux équipes se regardent en chiens de faïence, aussi bien les spectateurs présents au stade que les commentateurs de tous les pays s’indignent, même les commentateurs allemands sont morts de honte de l’attitude de leurs joueurs. Eberhard Stanjek, commentateur pour la chaîne allemande ARD, déclare en direct que “ce qui se passe ici est honteux et n’a rien à voir avec le football. On peut dire ce que l’on veut, mais la fin ne justifie pas toujours les moyens“. Comble de l’insolence, Derwall sort son meilleur Rummenigge pour le petit jeune du groupe, Matthaüs, peu après l’heure de jeu : le message est clair, on ne jouera pas pour marquer. Lorsque retentit le sifflet final, les huées sont ahurissantes. Un supporter algérien, furieux, essaie même de rentrer sur le terrain mais est arrêté par la police espagnole.
Le monde du football tout entier condamne ce « pacte de non-agression » entre les deux nations germanophones. Les Algériens, sacrifiés, feront preuve d’une immense classe. Merzekane déclarera par la suite : “Nous n’étions pas en colère, nous étions calmes. Voir deux grandes puissances s’avilir pour nous éliminer était un hommage à l’Algérie. Ils se sont déshonorés, nous sommes sortis la tête haute“.
On se quitte bon copains
Les supporters allemands eux-mêmes sont écœurés de voir cette équipe les représenter. Willi Schulz, ancien joueur de la Nationalmannschaft, les traitera même de gangsters. La réaction des joueurs allemands ?
Ils s’en foutent complètement et ne s’excusent surtout pas. Breitner fustige la naïveté des fans et affirme que seul la gagne compte. Interrogé sur la colère des supporters allemands, Reinders répondra qu’il « n’en a rien si à foutre si à la maison Tata Frieda en fait un drame ». Pire, le soir même, lorsque des supporters allemands se rassemblent devant l’hôtel de l’équipe pour protester, les joueurs leur balancent des bombes à eau depuis leurs balcons, Breitner et le tout jeune Lothar Matthäus en tête. Seul Karl-Heinze Förster et Uli Stielike émettront quelques regrets après le match.
Les Allemands sont qualifiés donc pour la seconde phase de groupe, où ils retrouvent l’Angleterre et l’Espagne. Mais une véritable cassure se constate après ce match et, hormis quelques fidèles, la plupart des Allemands souhaitent voir l’Angleterre les humilier, malgré l’immense rivalité entre les deux nations. Un comble !
Les cadres du vestiaire allemand mobilisent leur troupe et l’équipe part alors en mission commando : eux contre le monde, ça leur convient très bien. Derwall, qui était déjà assistant de l’équipe nationale en 1974 en a vu d’autres, trouve les mots justes.
Dès la qualification obtenue, il prépare déjà le match contre l’Angleterre. Et le vieux renard connait le football international mieux que personne. La deuxième phase de groupe se joue alors entre trois équipes, avec une seule confrontation entres elles. L’équipe qui remporte le plus de points accède à la demi-finale. Le calendrier fait que l’Allemagne jouera d’abord contre l’Angleterre, puis contre l’Espagne et enfin la Roja et les Three Lions joueront le dernier match.
L’Angleterre a impressionné durant les phases de poules : trois matchs, trois victoires, dont une contre la France de Michel Platini. Six buts marqués pour un seul encaissé. Le parcours de l’Espagne, bien que nation hôte, a lui été beaucoup plus sinueux : un match nul en ouverture contre le Honduras, une victoire étriquée contre la Yougoslavie, suivi d’une défaite surprise contre l’Irlande du Nord.
Derwall fait rapidement son calcul et décide de bouleverser sa composition. L’objectif est de ne surtout pas perdre contre les Three Lions puis de battre les Espagnols ensuite. Si tout se déroule comme prévu, alors, éliminés, les Espagnols tenteront pour leur dernier match contre l’Angleterre de sauver l’honneur devant leur public. Au Santiago-Bernabéu, devant presque 80 000 spectateurs, l’Allemagne aligne ainsi une défense à cinq : Kaltz et Briegel sur les côtés, Bernd Förster retrouve son frère au centre avec Uli Stielike. Reinders, hauteur d’excellentes entrées, remplace Littbarski. Beaucoup moins doué offensivement, il effectue cependant ses replis défensifs avec beaucoup de discipline, à l’inverse du génial ailier du FC Köln. Enfin, Hansi Müller est préféré à Magath pour densifier le milieu de terrain aux côtés de Dremmler et Breitner. Loin d’être digne des confrontations légendaires de leurs aînés, sous les hués des spectateurs espagnols, Anglais et Allemands se satisfont d’un match nul, même si Rummenigge est tout proche du hold up à la 87e mais sa frappe s’écrase sur la barre transversale.
Arrive la confrontation décisive face à l’Espagne. Le Santiago-Bernabéu est chaud bouillant et les 90 000 spectateurs encouragent bruyamment la Roja. Derwall conserve sa défense à cinq, mais, la victoire étant obligatoire, le feu follet Littbarski retrouve sa place de titulaire sur l’aile droite et le vieux Klaus Fischer est préféré à gauche. Dans l’axe, le tandem Breitner-Rummenigge est bien là.
La première mi-temps est équilibrée. Cependant, le capitaine Rummenigge est lent et joue à contretemps, handicapant l’animation offensive allemande. A la mi-temps, le staff médical décide de sortir Kalle, qui a en fait une déchirure musculaire à la cuisse. Privés de leur meilleur joueur, les Allemands reviennent cependant très entreprenants des vestiaires et moins de cinq minutes plus tard, Breitner envoie un missile depuis les 25m, qu’Arconara repousse difficilement. Littbarski reprend bien le ballon et marque ! L’Allemagne mène un à zéro. Se devant de réagir, les Espagnols mettent toute leur force dans la bataille et laissent de nombreux espaces. A la 75e, Breitner profite de ces espaces pour progresser rapidement dans l’axe et offre une passe exquise dans la surface à Littbarski qui, après une superbe talonnade, élimine son défenseur et Arconara, auteur d’une sortie hasardeuse et n’a qu’à remettre à Fischer, seul, qui marque devant un but vide. Les Espagnols jettent leurs dernières forces et Zamora parvient à marquer à la 82e minute. Les dix dernières minutes sont étouffantes mais la Nationalmannschaft tient bon et remporte le match. Derwall a réussi son coup et l’Espagne est éliminée de sa Coupe du monde. L’Angleterre doit absolument gagner par deux buts d’écart, mais, toujours à Madrid, l’Espagne veut partir la tête haute et se procure les meilleures occasions de la première mi-temps. L’Angleterre pousse à l’heure de jeu mais c’est déjà trop tard et les deux équipes se quittent sur un score vierge. Les Three Lions sont éliminés du mondial sans avoir perdu un match et l’Allemagne rejoint le dernier carré, où ils vont retrouver les Bleus de Michel Hidalgo.
Qu’écrire sur ce match qui n’a pas déjà été écrit. L’équipe de France, portée par son carré magique Platini-Giresse-Tigana-Genghini, pratique un superbe football, vient de sortir un match incroyable contre l’Irlande du Nord et fait rêver toute une nation. Alors que les Bleus reviennent d’une très longue traversée du désert, les voilà à nouveau en demi-finale d’un mondial depuis l’ère Kopa-Fontaine en 1958. Capitaine génial, Platini encourage ses troupes à n’avoir aucun complexe face aux Allemands : un an plus tôt, en Coupe UEFA, ses Verts gagnaient 5-1 face à Hambourg, alors donné largement favori.
En face, Derwall doit composer sans sa pièce maitresse Rummenigge, blessé et sur le banc. Il décide de conserver sa défense à cinq et son milieu de terrain Dremmler-Breitner. Magath remplace Kalle devant et Fischer, auteur d’un excellent match contre l’Espagne, conserve sa place de titulaire au côté de Littbarski, qui joue son meilleur football depuis le match contre le Chili.
D’entrée, les Allemands mettent la pression. Bien plus expérimentés que les Français, ils cherchent à ouvrir le score rapidement, à l’instar de leur match contre le Chili puis de l’Autriche. Littbarski confirme son excellente Coupe du monde, il perce la défense française de toute part et touche même la barre transversale à la 10e minute sur un superbe coup-franc, pendant que Breitner livre un combat de poids lourds du football au milieu de terrain face à Tigana. A la 17e minute, il prend le dessus sur le Girondin et, d’un magnifique extérieur trouve Fischer à l’entrée de la surface française. Ettori repousse la frappe mais Littbarski, décidément toujours bien placé, reprend parfaitement et ouvre le score. De suite, les Français se rebellent et parviennent de plus en plus à imposer leur jeu. Les Allemands sont sur le reculoir et cèdent plusieurs occasions. A la demi-heure de jeu, Rocheteau, bien lancé par Giresse, obtient un pénalty après un léger accrochage de Bernd Förster. Schumacher défie Platoche d’un regard d’assassin mais celui-ci le prend d’un contre-pied parfait : 1-1.
Son duel perdu avec Platoche énerve visiblement bien Schumacher qui profite de l’occasion française suivante pour repousser agressivement Didier Six et pour lui lâcher quelques mots doux. Les débats sont ensuite assez équilibrés jusqu’à la mi-temps, chaque équipe se procurant quelques occasions assez peu significatives. Le niveau de jeu est cependant très élevé, avec peu de déchets techniques d’un côté comme de l’autre. Au retour des vestiaires, la France domine les débats. Malgré la sortie sur blessure de Genghini, remplacé par Battiston, les Bleus multiplient les occasions. Rocheteau marque quelques minutes plus tard mais le but est refusé. Sur l’action, Schumacher semble possédé et sort les deux pieds décollés sur l’Ange Vert. Les Français sont cependant de loin les meilleurs et, peu après, Platini lance parfaitement Battiston dans l’axe. La suite est malheureusement bien trop connue : Schumacher tamponne salement le Stéphanois. KO, il sort sur civière. Il aura perdu deux dents, se sera fait casser trois côtes et aura subi des dommages à vie au niveau des vertèbres.
“6 mètres pour les Allemands”
Rarement aura-t-on vu un tel acte de violence sur un terrain de football. Mais l’arbitre néerlandais, Charles Corver, ne siffle pas faute. Il faut dire que Schumacher aura bien joué son coup et l’arbitre n’a rien vu : « Il est difficile de juger ce qui s’est passé, car j’ai suivi le ballon. Je pensais qu’il y aurait un but. Un peu plus tard, j’ai reconnu la collision. Je suis allé voir mon assistant et je lui ai demandé s’il avait vu quelque chose qui m’avait échappé ». Mais l’assistant, l’écossais Bob Valentine n’a rien vu non plus de l’attentat.
Le regard noir, Schumacher semble se contreficher de l’état du Français et s’agace du temps que prennent les brancardiers. Il provoque même le public pendant que Battiston est évacué. Preuve de la naïveté française à ce niveau, hormis Platini, les Français ne contestent presque pas la décision arbitrale, tandis que les Allemands, bien expérimentés, font mine que c’est un fait de jeu comme un autre. Corver dira d’ailleurs plus tard : « le manager français n’a quasiment rien dit pendant l’incident. Sa réaction était pire vue de la télévision que sur le terrain ». Après le match, Schumacher déclarera à la presse française que « si ce ne sont que ses dents, dites-lui que je paierai le dentiste ». Outch.
Platoche, dont Battiston est un coéquipier et un ami, enrage. En capitaine exemplaire, il donne le la à son équipe et les Bleus assiègent la surface allemande mais ces derniers ne cèdent pas et parviennent même à placer quelques contre-attaques, surtout via l’intermédiaire de Littbarski, de loin le meilleur Allemand du match. Hrubesch rentre pour Magath et Thierry Roland pointe son physique assez disgracieux d’un « c’est pas Alain Delon ». Décidément moches et méchants ces Teutons.
Corver siffle la fin du temps règlementaire et les prolongations qui suivront vont entrer dans l’histoire du football.
Dès la reprise, les Bleus attaquent à toute allure et, à la 93e, Marius Trésor reprend un centre dévié de Giresse pour envoyer une magnifique demi-volée dans les cages de Schumacher ! 2-1, les Français exultent ! Les Bleus continuent de pousser et Derwall joue sa dernière carte : sortie du défenseur Briegel et rentrée du patron Karl-Heinze Rummenigge. Selon la légende, le Président d’alors, François Mitterrand aurait crié horrifié « Mon dieu, Rümmenisch ! ». Le pari tactique de Derwall semble échouer moins de cinq minutes plus tard : Giresse marque depuis l’abord de la surface suite à une très belle action collective et confirme son excellent match. Menant 3-1 à moins de vingt minutes du terme, la messe semble dite. Mais malgré tous ses défauts, on ne peut pas retirer son mental d’acier à cette équipe allemande. Elle refuse de lâcher et continue à jouer, continue d’y croire. Alors que les Français pensent leur victoire acquise, les Allemands rôdent. Rummenigge, sur une jambe, bourré aux anti-douleurs, se projette sans relâche vers l’avant, se faufile dans le dos de Trésor, exhorte ses troupes. Sur un long centre de Förster, Fischer cale une superbe tête, but ! Refusé pour hors-jeu. Mais le momentum a changé de camp. Ce sont les Allemands qui dominent. Quelques minutes plus tard, Littbarski, toujours lui, se faufile dans la surface et centre pour Kalle qui marque d’une superbe talonnade ! Le patron ne célèbre pas. Il sait que ce n’est pas fini. Il enchaine avec un une-deux avec Breitner dans la surface d’Ettori juste avant la pause mais qui ne donne rien. Il reste quinze minutes.
La Nationalmannschaft donne tout ce qu’il lui reste. Trois minutes après la reprise, une nouvelle attaque est lancée par Littbarski, encore, qui trouve Hrubesch au second poteau. De la tête, il remet à Fischer, seul devant le but, qui claque un retourné. 3-3. On marche sur la tête, Thierry Roland s’exclame « c’est la prolongation de Mexico qui recommence ! ». Les Allemands viennent de réaliser l’impossible. Les Français semblent sonnés. Les deux équipes, épuisées, lancent leurs dernières forces dans la bataille. Mais ce match ne pouvait se conclure qu’aux tirs aux buts. Corver siffle la fin du match et on se dirige vers l’exercice fatidique. Cette séance est la première de l’histoire de la Coupe du monde. Les tirs aux buts viennent d’être introduits pour la première fois lors de cette édition ibérique. Schumacher sera donc en première ligne pour cette ultime bataille. Le boss de fin, le méchant ultime. La tension est à son paroxysme.
Giresse tire le premier. Il soutient le regard assassin de Schumacher et le lui rend bien. Il accepte le défi. But. 1-0 pour les Bleus. Dans le rond central, Platini et Rummenigge échangent quelques mots. Malgré la haine, entre patrons, on se respecte. Kaltz, capitaine du soir côté allemand, tire et marque. Amoros, puis Breitner. Le meilleur latéral de sa génération contre le meilleur de la sienne. Du lourd. Rocheteau ensuite. Au tour de Stielike. Il rate ! Uli est abattu. Lui qui a été irréprochable depuis l’Euro 1980, c’est cruel. Mais Schumacher le chope par le col et le vire de sa surface. Pas le temps pour les réconforts, il y a une bataille à gagner. Didier Six se présente face à lui, il l’arrête ! Pour le meilleur et pour le pire, Schumacher reste un gardien exceptionnel. Pas aussi légendaire que Sepp Maier, un prime pas aussi fou qu’Oli Kahn, pas aussi révolutionnaire que Manu Neuer, il n’en reste pas moins l’un des très grands portiers de l’histoire de la Nationalmannschaft, souvent trop réduit à son attentat sur Battiston. C’est au tour de Littbarski, puis Platini et Rummenigge. Les équipes jouent leurs derniers as. On arrive à la mort subite. Si une équipe rate et que l’autre marque, c’est terminé. Pas de deuxième chance. Bossis se présente tremblant. Schumacher est, lui, détendu au possible, il vient d’échanger quelques blagues avec l’arbitre néerlandais. Arrêt du gardien. Il lève le poing au ciel, il sait qu’il vient de porter le coup de grâce. Hrubesch prendra l’ultime tir. Deux ans auparavant, c’est lui qui offrait l’Euro à son équipe en marquant un doublé en finale. Autant dire que les gros matchs, ça ne lui fait pas peur. Et ça ne manque pas, il marque. L’Allemagne est en finale ! La fin d’un match mythique, qui aura opposé le romantisme français insouciant et naïf au réalisme et à l’expérience des Allemands. Une leçon cependant nécessaire pour la bande à Platini, qui reviendra bien plus forte deux ans plus tard, lors de son Euro en France.
La Nationalmannschaft n’a cependant pas le temps de célébrer sa victoire. Il lui reste une dernière marche à gravir avant d’atteindre l’Everest. Et celle-ci s’annonce de loin être la plus difficile. Parce qu’en finale, les Italiens de la Squadra Azura les attendent de pied ferme.
Le Nemesis ultime, l’ennemi qu’on ne peut pas vaincre. La seule équipe d’Europe avec un sens de la gagne encore plus développé que celui de la Mannschaft. Une équipe de vétérans, encore plus vicelarde que les Allemands, encore plus physique qu’eux. Les Allemands pensaient avoir fait le plus dur en venant à bout du romantisme algérien puis français ? Bof, en face la Squadra vient de sortir l’un des plus grands Brésil de l’histoire, celui de Tele Santana, Zico et Socrates, avec un réalisme froid, puis a détruit les rêves d’une équipe polonaise sublime d’une victoire nette et sans bavure, 2-0.
Emmenée par le cannoniere Paolo Rossi, qui sort pourtant d’une saison blanche à la Juventus pour une affaire de paris truqués (quand on vous parlait de magouilles…), l’équipe italienne ne craint personne. Surtout, elle a à cœur de ramener la Coupe du monde dans la Botte, elle qui n’a plus remporté le sacre ultime depuis les années 30, une hérésie pour une terre de football telle que l’Italie.
Aux cages, la légende Dino Zoff, bien protégé par une défense imperméable, composée du sans doute meilleur défenseur du monde alors, le Juventino Gaetano Sciera, du bourrin Gentile (qui s’est occupé personnellement de briser le jeune Maradona en phase de poule), des excellents Milanais Collovati et Turinois Cabrini, ainsi que du tout jeune intériste Bergomi, 18 ans, qui a gagné sa place pendant la compétition. Au milieu, c’est Tardelli qui gère les couvertures défensives, pendant que le génial Romain Bruno Conti et l’Intériste Oriali s’occupent de distribuer les ballons à Rossi et au Fiorentino Graziani. Si la bande de Breitner et de Kaltz se présente face à eux sans complexe, elle sait que la bataille sera rude. Surtout, elle commence à accuser le coup. La prolongation contre les Bleus l’a épuisée. Les scandales à répétitions l’ont rincée et le manque de soutien populaire en Allemagne commence à la faire faillir, alors que les Italiens se sont déplacés en masse pour soutenir leurs héros. Rummenigge est toujours mal en point mais compte bien jouer sa première finale de Coupe du monde. Il ne louperait ça pour rien au monde. Il retrouve sa place de titulaire sur le front de l’attaque aux côtés de Littbarski et de Fischer, qui a gagné sa place au mérite. Au milieu, le tandem Breitner-Dremmler est de nouveau aligné devant une défense à cinq, les frères Förster entourant le libéro Stielike et toujours Briegel et Kaltz sur les côtés. Schumacher est bien évidemment dans les cages. Que des patrons des deux côtés. Vingt-deux joueurs de légende sont sur le point de s’affronter au sommet.
Le 11 juillet 1982, les équipes entrent sur le terrain du Santiago-Bernabéu devant 90 000 spectateurs. Le public a choisi son champion, ce sont bien les Italiens qui reçoivent les applaudissements. Le match s’ouvre. Dès la première minute Littbarski cadre bien sa frappe à l’entrée de la surface, mais Zoff veille. Le temps fort allemand continue et Rumenigge tente de frapper en pivot mais loupe complètement le cadre. Graziani se blesse à l’épaule rapidement et doit laisser sa place à l’Intériste Altobelli. La défense italienne est particulièrement rude ; le tout jeune Bergomi a pour mission de contenir Rummenigge et Gentile doit se farcir Littbarski. Ça se rend coup pour coup. Au milieu de terrain, Breitner et Oriali se font la guerre. Rossi en fait voir de toutes les couleurs à Briegel et parvient à obtenir un penalty à la 25e minute ! Pablito tombe tout seul, mais les Allemands ne contestent pas et Schumacher sourit. Entre crapules, ont se respecte. Il plonge du bon côté et détourne la frappe de Cabrini. Peu après, Conti met un taquet à Littbarski et prend un jaune. Il prend quand même le temps de lui murmurer quelques mots doux. Sciera stoppe ensuite une belle occasion de Breitner. Les Allemands enchainent les belles actions, notamment une tête puis une frappe de Bernd Förster, mais la défense italienne ne rompt pas. Au contraire, elle semble en maitrise. Bergomi accentue la pression physique sur un Kalle diminué, qui est méconnaissable. Les Italiens dominent la fin de la première période et Stielike doit mettre un tampon à Oriali qui partait seul au but. La faute débouche sur un coup franc de Conti, arrêté par Schumacher. Le niveau de jeu est élevé, la pression est totale. Fin de la première manche, la finale se décidera en deuxième mi-temps.
Les Italiens commencent la seconde période tambour battant. Les Allemands semblent accuser le coup physiquement et commencent à faire de plus en plus de fautes. Breitner est pris de vitesse par Oriali et doit lui mettre un taquet pour éviter une attaque transalpine. Oriali est en feu et quelques minutes plus tard c’est au tour d’un Rummenigge, de plus en plus frustré par la défense impeccable de Bergomi, de le pousser par derrière. Le coup franc est joué rapidement et Gentile centre pour Rossi, qui malgré la bonne couverture de Karl Heinze Förster ouvre la marque ! Les 90 000 spectateurs du Bernabéu célèbrent bruyamment le but. Les Allemands semblent lâcher prise. Sur un bon coup franc à l’entrée de la surface, Rummenigge n’a même plus la force d’essayer de reprendre le ballon. On le sent à bout. Oriali, encore lui, continue son festival et c’est au tour de Dremmler de faire une vilaine faute. Les Allemands poussent malgré tout, ils vont chercher dans leurs dernières ressources. Derwall fait du bon coaching et sort le milieu défensif Dremmler pour Hrubesch, qui vient squatter la surface et s’embrouiller avec Gentile. Kalle parvient à cadrer une belle tête mais c’est sans souci pour Zoff. Il parvient juste ensuite à capter un bon centre, tente de se retourner en pivot mais Collovati lui vole le ballon au moment d’armer sa frappe. A la 68e minute, Sciera s’infiltre dans la surface et passe à Tardelli qui envoie une magnifique frappe dans les buts de Schumacher. 2-0. La célébration devient mythique et sonne le glas de la Nationalmannschaft. Tout de suite après le but, Rummenigge rend les armes. Il sort la tête basse, le corps brisé. La capitaine est le premier à quitter le navire. Altobelli sale la note dix minutes plus tard. Breitner sauve l’honneur à peine une minute ensuite, mais la messe est dite. La Mannschaft est vaincue et l’Italie est sacrée championne du monde.
La fin de l’aventure
Le retour au pays est peu glorieux pour la bande de Derwall. Ils sont accueillis au mieux dans l’indifférence, au pire par le mépris. Les supporters allemands n’ont que peu apprécié le parcours crapuleux de leurs footballeurs, et les grandes gueules et grosses personnalités de l’équipe ont fini par agacer un public allemand qui préfère se souvenir des exploits de Franz Beckenbauer et Gerd Müller, qui ont toujours été sports avec leurs adversaires, dans la victoire comme dans la défaite. Cette épopée marquera d’ailleurs le chant du cygne de la génération Derwall-Rummenigge-Breitner. Deux ans plus tard, à l’Euro en France, ils sortiront d’ailleurs sans gloire en phase de poule contre le Portugal, le Danemark et l’Espagne. Ils retrouveront rapidement les sommets cependant. Directement après la débâcle de l’Euro 1984, Franz Beckenbauer reprend les rênes de l’équipe et construit sa nouvelle équipe autour du petit jeune, Lothar Matthaus, qui a bien grandi. Digne héritier de ses ainés, il a vécu une saison tonitruante avec le Borussia Monchengladbach et vient de mettre un bordel monstre en Bundesliga. Alors que le club caracole en tête, il annonce fièrement au vestiaire à la mi-saison avoir signé le pour le grand rival, le Bayern, et conclut sa saison en loupant son pénalty en finale de la Coupe d’Allemagne 1984 face aux Bavarois sous les huées des supporters du Borussia. Une belle tête de con donc, qui mènera sa génération, ses fidèles Jürgen Köhler, Andreas Brehme et Rüdi Völler dans des guerres épiques contre l’Argentine de Maradona et face aux Pays-Bas de Van Basten et Koeman. Mais ceci est une autre histoire.
Alors que cet été l’Allemagne accueille l’Euro, la Nationalmannschaft traverse la pire crise de son histoire. Après trois compétitions de suite complètement loupées, l’équipe allemande a perdu son âme. Les gentils garçons que sont Kai Havertz, Serge Gnabry et Timo Werner sont sans nul doute d’excellents footballers mais n’ont ni le mental, ni le vice, ni la rage de vaincre de leurs ainés. Seul Rüdiger semble respecter l’héritage du maillot Noir et Blanc. Et si cette Allemagne souhaite renouer avec le succès, il est temps qu’elle prenne exemple sur ses prédécesseurs. Son ADN c’est la gagne et rien d’autre. La gagne à tout prix, même si elle échoue. Car comme disait Platini, « quand l’Allemagne est bonne elle gagne, quand elle est mauvaise elle va en finale ».
Et le football international s’en porterait mieux également. Pour toute bonne histoire, il faut un bon méchant.