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Lucarne Opposée

·8 mars 2022

Culture foot

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Luis Cubilla nous a quitté le 3 mars 2013 à Asunción, ville qui l’avait adopté grâce aux titres apportés au Paraguay. Des titres, le Negro Cubilla en a remportés en cascade, de la première Coupe des Champions d’Amérique de 1960 gagnée contre Olimpia, à la Copa Libertadores de 1990 gagnée en tant qu’entraîneur d’Olimpia. Entre temps, une litanie de voyages, d’histoires, de buts et de légendes. Retour sur la carrière de l’un des plus grands attaquants sud-américains de l’histoire.

Épisode 5 : l’un des plus grands du Paraguay

En 1995, Cubilla revient donc pour un troisième passage, le plus long, au sein de son club de cœur : Olimpia. Quand est-il devenu cet homme paraguayen ? Peu importe quand il a été naturalisé, car il a pris éventuellement la nationalité paraguayenne. Il est devenu Paraguayen quand il a réussi à revenir à Olimpia et à toujours y avoir autant de succès. Et surtout, il est devenu un petit peu moins uruguayen, quand il a vécu ce traumatisme de 1993 avec la sélection. Lui, l’homme qui a joué tant de finales de Libertadores. Lui, l’homme du premier titre de Peñarol, du premier titre de Nacional, le joueur dix fois champions d’Uruguay, insulté comme un malpropre dans son propre pays par une bande de joueurs ingrats et manipulés… Cubilla revient à Olimpia. C’est son club maintenant et c’est sans doute aussi un peu son pays désormais. Et que les autres aillent au diable.


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Il reste cinq saisons à Olimpia entre 1995 et fin 1999, remporte quatre nouveaux titres de champion du Paraguay, ce qui porte son total à huit titres de champion avec Olimpia.  Mais le football continental a changé et Olimpia souffre en Libertadores. Défaite contre Grêmio en huitièmes en 1995, contre Colón également en huitièmes en 1998, éliminations en phase de groupes en 1996 et 1999. Le plus long passage de Cubilla dans un club s’achève en 1999 sans ce frisson d’une finale de Libertadores, mais avec un autre frisson : un soir de mars 1999, Olimpia affronte Corinthians et gagne 1-0 à la mi-temps. Mais l’entraîneur a vent du Marzo Paraguayo, opération aboutissant à l’assassinat du vice-président de l’époque. Sa famille résident près de la présidence, Cubilla quitte son équipe sans rien dire et n’assiste pas à la seconde mi-temps, durant laquelle Corinthians remonte le score et bat Olimia (1-2).

Alors qu’il a quitté le club, Olimpia est de nouveau titré en 2002, sans Cubilla. Le Decano jouera à nouveau une finale en 2013, quelques mois après le décès de l’entraîneur qui l’avait emmené à quatre reprise à cet échelon. Depuis, comme les clubs uruguayens, les Paraguayens n’ont pas résisté à l’envahissement de la compétition par les Brésiliens et les Argentins.

À défaut d’apporter une nouvelle Libertadores, Cubilla a continué à être précurseur en découvrant des jeunes talents et en les valorisant à l’étranger. En 1997, il lance par exemple le jeune Roque Santa Cruz. Le joueur se souvient pour La Nación : « c’est lui qui m’a aidé à démarrer à une époque où ce n’était pas naturel qu’un joueur joue si jeune. Il est venu me voir à un match des moins de quinze ans, la première du centre de formation, il m’a invité à m’entraîner avec l’équipe première en me disantécoute, si les choses ne tournent pas bien, tu pourras toujours revenir dans ta catégorie sans problème”. Il a pris le temps de parler avec moi et ses conseils étaient très précieux pour moi, ils ont marqué mes débuts ». En 1999, le joueur est finalement vendu au Bayern Munich par Osvaldo Domínguez Dibb pour dix millions de dollars. Cubilla déclare en conférence de presse : « Roque est un joueur exceptionnel avec un ange-gardien propre. Il est le reflet de l’humilité que nous les entraîneurs souhaitons des joueurs. Cela va beaucoup l’aider dans sa carrière. Je suis sûr qu’il va triompher en Europe ».

Après le long passage à Olimpia, Cubilla part entraîner le rival de toujours, le Cerro Porteño. Mais les résultats ne sont pas bons et après un Apertura où son club termine sixième, il prend les commandes d’un autre paraguayen, Libertad qu’il fait remonter en première division. Il retourne ensuite à Olimpia, avant de retourner entraîner en Argentine, à Talleres. Il n’y reste que quelques mois, dans ce qui est encore une assez mauvaise expérience, mais y vit l’un des épisodes à la fois iconique et stupide du football argentin. Lors d’un Huracán – Talleres, un supporter du Globo passe son temps, devant les caméras de télévision, à insulter Cubilla et sa mère. Cubilla, pas plus effrayé que cela, prend alors un bonbon, le sort de son emballage et l’envoi au supporter à travers la grille en disant : « tiens, les singes ça doit manger des caramels ». Alors qu’il n’y avait aucune violence dans le geste de Cubilla, le supporter devient fou, se tient la tête et hurle « qu’est-ce que tu m’as lancé Cubilla ! Qu’est-ce que tu m’as lancé ! ». La vidéo devient un mème avant même l’époque des mèmes.

Cubilla revient ensuite plusieurs fois à Olimpia mais il n’y connaît plus le succès ni les titres du passé. Il effectue d’autres passages éphémères à Independiente ou Barcelona de Guayaquil

La trahison, jusqu’au bout

De loin, il continue de suivre l’Uruguay qui a depuis complètement cédé au groupe Casal. Après la signature du premier contrat de diffusion des matchs en 1998, le groupe prend la main sur les clubs endettés puis sur l’AUF. Alors que l’Uruguay n’avait pas réussi à se qualifier non plus en 1998, la Celeste y arrive pour la Coupe du Monde 2002 de la main de Daniel Passarella et de Victor Púa. Le jour de la qualification, l’écran géant du stade affiche le message « GRACIAS PACO » comme si l’Uruguay était tombé dans une secte. Pour pire, la gauche prend le pouvoir en 2005 de la main de Tabaré Vázquez. Cela tombe bien pour Casal, qui a de nombreux amis à gauche. En 2013, le président José Mujica l’amnistie dans un dossier de fraude fiscale et l’avantage durant tout son mandat... Alors imaginez l’état d’esprit de Luis Cubilla, homme de droite revendiqué, qui voit les anciens guerilleros de gauche pactiser avec celui qui a démoli son projet à la tête de la sélection. En 2006, Luis Cubilla déclare au journal argentin Olé : « l’Uruguay est gouverné par des assassins, des sans-gênes et des voleurs. La direction du football uruguayen devrait être en prison, le football va mal à cause de cela ». Ces déclarations font scandales, surtout la première partie dans laquelle il accuse le gouvernement de gauche. Le scandale est tel que Cubilla se sent obliger d’écrire une lettre à l’ambassadeur d’Uruguay au Paraguay, dans lequel il réaffirme « tout son respect pour le gouvernement élu par la majorité, que préside le Docteur Tabaré Vázquez ». Dans tous les cas, Cubilla ne se rétracte pas, il ne change pas de ligne. Il ajoute « qu’à un certain moment de l’histoire, des gens ont commis des crimes deux côtés ». La rupture avec l’Uruguay est consommée. Au Paraguay, il soutient toujours son ami Domínguez Dibb qui, en 2002, est candidat à la Présidence de la République pour le parti Colorado, sur un ticket avec Alfredo Stroessner, petit-fils du dictateur. Cubilla regrette longtemps que son ami soit parti de la présidence d’Olimpia en 2004 et qu’il n’ait pas une place réservée au stade, l’entrée gratuite dans les loges. Il déclare à la radio : « Je devrais être sur un piédestal à Olimpia. Je devrais être assis à côté du président, à vie, vu ce que j’ai fait pour le club ». Le vieux Domínguez Dibb, ami de Cubilla, vit toujours et son fils est devenu président de la CONMEBOL. L’Amérique du Sud a ses raisons que la raison ignore.

Côté football, Luis Cubilla effectue une dernière pige à Tacuary, toujours au Paraguay et s’arrête pour la première fois d’entraîner en 2012. Comme il aime alors à le dire, c’est sa première saison sans jouer ou entraîner en cinquante ans. C’est aussi malheureusement la dernière, il s’éteint des suites d’un cancer de l’estomac le 3 mars 2013.

Des statistiques folles

Ironiquement, Luis Cubilla a gagné un titre de champion de plus en Uruguay qu’au Paraguay, avec des statistiques qui restent incroyables : dix titres de champions d’Uruguay (quatre avec Peñarol, quatre avec Nacional, un avec Defensor, le tout en tant que joueur, puis un avec Peñarol en tant qu’entraîneur), alors qu’il n’a gagné « que » neuf titres avec Olimpia au Paraguay. Soit dix-neuf titres de champion. Mais être champion en Uruguay avec Peñarol et Nacional ou au Paraguay avec Olimpia et assez simple durant ces années où les trois clubs trustent les titres. La dimension de l’importance historique de Luis Cubilla se prend mieux en compte lorsque l’on considère les trente premières années de la Copa Libertadores. Le Monstre a gagné cinq fois la Copa Libertadores et a participé à la bagatelle de neuf finales (1960, 1961, 1966, 1969, 1971, 1979, 1989, 1990, 1991). Soit une participation à 28 % des finales de la Libertadores des trente-deux premières années. Il remporte aussi trois intercontinentales, pour cinq finales. C’est l’homme des premières, avec le premier titre de Peñarol, Nacional et Olimpia que ce soit en Libertadores ou en Intercontinentale.

Malgré tout, à la fin de sa vie, Cubilla met en avant le titre obtenu avec le Defensor en championnat, sans doute le titre le plus dur à obtenir, alors que le joueur a trente-six ans et qu’on l’annonce comme finit. C’est un titre important, car il est gagné envers et contre tous, grâce à un dernier but de Cubilla, son dernier en tant que professionnel. C’est aussi durant cette saison qu’il amorce le passage vers le poste d’entraîneur, s’inspirant fortement du profe Ricardo de León. Inconsciemment, c’est sans doute aussi sa dernière saison où il arrive à une sorte de concorde autour de lui, en s’entendant bien avec une équipe et un entraîneur qui étaient de gauche, aidant parfois par ses liens au sein du gouvernement à éviter certains problèmes, sortant un collègue de prison quand ce dernier se fait arrêter de retour d’un voyage. 1976 est après 1970 le moment où tout l’Uruguay admire le joueur, ce que Cubilla aura souhaité toute sa vie.

Après, l’entraîneur est devenu Paraguayen, par choix, guidé par les événements, les succès, et aussi un peu par la colère. Les réactions après sa mort sont unanimes, l’AUF le décrit comme l’un des meilleurs de son temps. La mort est une façon de faire la paix, car après un hommage rendu à Asunción au siège du club Olimpia, au cours duquel Osvaldo Domínguez Dibb parle de la perte « d’un grand entraîneur et d’un grand ami », les restes de Cubilla sont ramenés à Montevideo pour être enterrés sur sa terre natale.

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