Lucarne Opposée
·6 janvier 2025
Lucarne Opposée
·6 janvier 2025
Le 18 avril 1999, le Chili pleurait la mort d’Enrique Hormazábal. Celui que les anciens surnommaient Cua Cuá a été l’une des premières grandes idoles de l’après-guerre. Et s’il est quelque peu oublié aujourd’hui, il reste probablement le premier vrai magicien du football chilien. Portrait.
Enrique Hormazábal est né le 6 janvier 1931 et n’a pas ciré les bancs de l’école bien longtemps. Issu d’une fratrie de sept enfants, il doit en effet rapidement trouver un travail pour subvenir aux besoins de la famille. Malgré tout, le football est déjà le centre de l’univers du garçon qui, à partir de ses treize ans, tape dans la balle tous les dimanches au sein du club amateur de Vizcaya du quartier de Yungay-Mapocho. C’est à ce moment que le petit footballeur aux pieds nus que l’on surnomme Cua Cuá, héritage d’un bégaiement pour quarante centimes, prix d’un journal de l’époque, chausse des crampons. Trois ans plus tard, alors qu’il joue dans la rue avec son père, Humberto Agüero le repère et lui permet de signer son premier contrat pro avec Santiago Morning. Cua Cuá n’a que dix-sept ans, son histoire s'accélère.
« Le football se joue avec les pieds, mais il nait dans la tête »
Ailier droit, Hormazábal s’impose rapidement au sein de son équipe. Il reste sept ans au club, y devient international et décroche un trophée, la Copa Carlos Varela 1950, correspondant au tournoi d'ouverture et donc prélude du championnat national, dernier titre de Primera du club bohemio. Six ans après ses débuts en Primera, Cua Cuá change de dimension en rejoignant Colo-Colo. Le numéro 8, capable de mettre le ballon où il le désire, devient rapidement une idole au club non seulement en lui permettant de décrocher des titres (trois en sept ans), mais surtout par son talent. Cua Cuá Hormazábal voit ce que personne n’avait deviné. Placé au cœur du jeu, il est le maître à jouer du Cacique, son premier Mago. L’histoire veut qu’il ne manque jamais un penalty si ce n’est aux entraînements où il envoie les ballons vers les petits supporters qui se pressent derrière les barrières après leur avoir dit d’aller dans la rue derrière, les joueurs n’étant alors pas autorisés à distribuer les ballons aux supporters. Son élégance, sa vision, sa technique en font un joueur phare de son époque, l’une des grandes vedettes du football chilien et son ascension météoritique en font un pilier annoncé de la sélection qui défend les couleurs du pays lors de sa Coupe du Monde de 1962.
Préconvoqué pour la Coupe du Monde de 1950, Cua Cuá Hormazábal fait ses débuts en sélection face à la Bolivie en 1950 et marque un but. Il participe au premier Campeonato Panamericano de Fútbol, inscrit deux buts au sein d’un Chili, pays hôte, qui est battu en finale par le Brésil, puis est membre de la sélection qui ne parvient à se qualifier pour la Coupe du Monde 1954. Ses principaux faits d’armes des années cinquante, Hormazábal les signe en Copa América qui s’appelle alors Campeonato Sudamericano. En 1955, le Chili organise la compétition, Cua Cuá Hormazábal brille. Six buts en cinq matchs et une « finale » perdue face à l’Argentine permettent au joueur de Colo-Colo d'ancrer son nom dans l’histoire de l’épreuve notamment en devenant l’auteur du millième but de l’histoire de la compétition. L’année suivante, lors d’un Campeonato Sudamericano spécial, organisé alors en Uruguay, Cua Cuá Hormazábal réussit une énorme performance face au Brésil en ouverture. Le Chili s’impose 4-1 sur un doublé de Cua Cuá qui offre le troisième but au jeune Leonel Sánchez, future légende au pays. Ses quatre buts en font le meilleur buteur de l’épreuve, mais n’empêchent pas l’Uruguay de remporter cette édition, le Chili restant un joli second. Jamais plus dans l’histoire de la Copa América la Roja ne parviendra à faire deux deuxièmes places consécutives, seule la génération dorée de 2015-2016 fera mieux. La même année, le Chili est désigné pays hôte de la Coupe du Monde 1962. Elle doit être l’avènement de Cua Cuá Hormazábal, elle reste un traumatisme.
Car Enrique Hormazábal ne dispute pas cette Coupe du Monde. Champion au pays avec Colo-Colo en 1960, cela fait déjà deux ans que Cua Cuá n’est plus appelé en sélection. Fernando Riera prend les rennes de la sélection en 1957 et lance alors un long processus de construction/modernisation de celle-ci dans l’optique du Mondial 62. C’est sous son impulsion Juan Pinto Durán, aujourd’hui encore le Clairefontaine de la Roja est bâti. Riera et Hormazábal ne s’entendent pas, la légende s'emparant des raisons pour l'expliquer. Selon Cua Cuá, c'est une histoire d’équipements qu’il ne voulait pas porter. Selon Riera, le joueur ne veut pas se plier à la discipline collective que le sélectionneur souhaite instaurer dans l'optique du Mondual, un épisode lors d’un retour en bus de La Serena ayant été le point de non-retour. Si la légende veut que Riera a dit à Hormazábal qu’il comptait pour la sélection, mais qu'il devait se soumettre comme les autres à la discipline qu’il comptait instaurer, le fait est que Cua Cuá ne revêtit plus le maillot rouge sous la direction de Riera et suit de loin la troisième place d'une sélection au sein de laquelle le peuple assiste au couronnement de Leonel Sánchez. Nombreux sont ceux qui pensent qu’avec Cua Cuá, le Chili aurait été champion du monde.
Cet épisode marque un avant et un après pour un joueur alors âgé de trente-et-un ans. Il entre en dépression, prend du poids, est annoncé mort pour le football. En 1961, la rumeur de sa retraite court. Mais les géants se nourrissent des légendes qu’ils aiment eux-mêmes écrire. Deux ans plus tard, Hormazábal conduit Colo-Colo vers un titre qui marque l’histoire du club. Avec cent trois buts en trente-quatre matchs et l’éclosion définitive d’un gamin nommé Francisco Chamaco Valdés, autre légende du peuple albo, le Cacique décroche son neuvième titre, le dernier de Cua Cuá joueur, un titre qui, tout un symbole, est scellé sur une dernière victoire face à la Católica sur un lob de quarante mètres du numéro 8. Brillant, Hormazábal a retourné les médias. La revue Estadio lui consacre un édito de deux pages dans lequel on peut lire : « Lorsqu’on commet une erreur, l’honnêteté consiste à la reconnaître. Nous avons commis une grave erreur envers Hormazábal. Nous l’avions supposé perdu pour le football. Nous l’avons fait passer pour un homme sans volonté, englué dans les excès, attaché à un milieu qui le précipiterait dans le ravin. Mais petit à petit, le 8 albo a retrouvé sa condition. Il s’agissait d’abord de jouer comme il savait le faire, d’abord une dizaine de minutes par match, puis une demi-heure, puis une mi-temps. Lors de ce championnat de 1963, ce fut le match ».
Cua Cuá Hormazábal donne deux années de plus à Colo-Colo. En 1965, il prend sa retraite avant d’entamer une courte carrière d’entraîneur. À trente-neuf ans, il débute avec Colo-Colo mais son cycle est bref. Sans lui, Colo-Colo décroche le titre de 1970. Quatre ans plus tard, il dirige Santiago Morning champion de Segunda qui retrouve alors l’élite après cinq années d’absence. Son cycle sur un banc prend fin en 1983 et Cua Cuá Hormazábal s'éloigne des terrains pour entrer dans les livres aux côtés d'autres légendes du football chilien comme Elías Figueroa, Leonel Sánchez, Sergio Livingstone, Luis Eyzaguirre et Carlos Caszely.
Le18 avril 1999, le Chili pleure sa disparition. Enrique Hormazábal avait soixante-huit ans. Avec lui s'envole un souvenir, celui du meilleur buteur de l'histoire de la Roja à la Copa América jusqu'en 2019, lorsqu'Edu Vargas l'en délogea, celui d'une légende dont il ne reste aucune vidéo et dont l'histoire résiste au temps grâce aux paroles des anciens. Des paroles avec lesquelles remontent les souvenirs d’une époque où le Chili découvrait son premier magicien.
Initialement publié le 18/04/2018, dernière mise à jour le 06/01/2024