Le Corner
·6 décembre 2020
Le Corner
·6 décembre 2020
En janvier 2014, Kevin De Bruyne prend la difficile décision de quitter Chelsea pour Wolfsburg avec une seule chose en tête : prouver à José Mourinho qu’il s’était trompé sur son cas. Un an plus tard, le Belge fait plier presque à lui seul le Bayern Munich de Pep Guardiola, et s’attire les louanges de l’Europe entière. Ce jour-là, Kevin De Bruyne accomplit son objectif dans le contexte le plus difficile qu’il soit : celui d’un deuil.
10 janvier 2015. Un an après son arrivée à Wolfsburg, Kevin De Bruyne a le sourire : finie la trêve hivernale, il est temps de retrouver le terrain. Enfin presque, puisque le Belge doit d’abord revoir ses coéquipiers à l’aéroport de Brunswick, pour un vol direction l’Afrique du Sud où un stage d’entraînement les attend. Dans la Basse-Saxe, l’ambiance est au beau fixe : les Loups sont confortablement installés à la deuxième place en Bundesliga, et on devine facilement leur excitation à l’idée de se retrouver pour terminer le travail entamé. Mais très vite, les yeux pétillants de Kevin De Bruyne et compagnie vont se mouiller : Junior Malanda, leur jeune coéquipier au milieu de terrain, a perdu la vie sur le chemin de l’aéroport, dans un accident de la route.
« Ils étaient toujours ensemble », explique Naldo, en parlant des deux milieux de terrains Belges, qui ont fait leurs débuts en même temps sous le maillot vert et blanc. Vingt jours après la tragédie, le 30 janvier 2015, Wolfsburg doit renouer avec la compétition. Pas par la plus facile des manières, en outre, puisque c’est le Bayern Munich de Pep Guardiola, toujours invaincu en Bundesliga, qui s’invite à la Volkswagen Arena. Les hommes de Dieter Hecking le savent : s’ils veulent rendre hommage à leur ami avec une victoire, cela dépendra principalement de l’état de forme de leur meneur de jeu, lumineux en première partie de saison. Au coup-d’envoi, comme souvent, le visage pâle de Kevin De Bruyne ne laisse rien entrevoir, même si ses yeux ont rougi lors de la minute d’applaudissement. Le rouquin, comme les 22 acteurs, a simplement attaché un brassard noir à la manche droite de son maillot floqué du numéro 14. C’est avec ses pieds que KDB rendra hommage à Junior Malanda.
Mais le Bayern n’a nullement l’intention de laisser le prodigieux rouquin mettre à mal ses plans. Dès les premières secondes de la partie, Arjen Robben donne le ton en tentant sa « spéciale » – fixation de son vis-à-vis, crochet pour repiquer dans l’axe sur son pied gauche, frappe – que les défenseurs wolfsbourgeois ne laissent pas passer. Mais on comprend déjà que le Bayern tentera de camper dans la moitié de terrain adverse pendant 90 minutes. Peu importe les risques. Pourtant, ceux-ci sont considérables, et les hommes de Dieter Hecking ne vont pas tarder à les dévoiler. Dès la quatrième minute, Maximilian Arnold trouve Danilo Caliguri, qui voit De Bruyne prendre la profondeur. Le ballon du germano-italien parvient parfaitement au Belge dans le dos de Jérôme Boateng. Déjà arrivé aux abords de la surface munichoise, De Bruyne peut s’offrir un face-à-face prestigieux contre Manuel Neuer, mais décale très justement pour Bas Dost, en meilleure position, qui ne se gêne pas pour transformer le cadeau de son coéquipier en but.
Pourtant, De Bruyne n’a pas encore véritablement lancé son festival. Preuve en est, on peine à le trouver lors de la quinzaine de minutes suivant le but, le Bayern affichant une possession de balle frôlant les 70%. Alors il doit lui-même s’employer pour toucher le cuire, en allant gratter la balle haut, dans les pieds de Xabi Alonso. Si Wolfsburg peut alors s’offrir une opportunité de but, arrivant à trois attaquants face aux trois derniers défenseurs bavarois, le Belge ajuste mal son ballon pour Bas Dost, et freine considérablement une action qui n’inquiétera finalement pas Manuel Neuer. Voilà la seule réelle approximation de KDB au cours des 90 minutes, qui s’apprête à se montrer de plus en plus régulièrement.
C’est paradoxalement après s’être excentré sur l’aile gauche, laissant Ivan Perišić accompagner Bast Dost dans l’axe, que De Bruyne commence à toucher plus de ballons. À la 26ème minute, il laisse ainsi entrevoir ses qualités de dribbles à Sebastian Rode, qui dépanne sur le côté droit de la défense du Bayern. Une fois l’Allemand mis dans le vent, De Bruyne cherche Maximilian Arnold d’un centre fort, que le milieu de terrain ne parvient pas à reprendre pour quelques centimètres. Quatre minutes plus tard, le Belge fixe encore Rode, et le prend à revers en repiquant cette fois sur son pied droit et fouetter un tir qui ne prendra pas, comme espéré, le chemin de la lucarne gauche de Manuel Neuer. Revenu au cœur du jeu, il se montre de plus en plus déroutant, se faufilant entre David Alaba et Xabi Alonso avant de lancer parfaitement Ivan Perisic. L’action ne donnera rien, mais KDB enchaîne les gestes de grande classe. Montant en puissance au fil des minutes, le Belge parvient à entraîner dans son sillage l’ensemble de ses coéquipiers. Bien aidés par un Luiz Gustavo portant le costume du récupérateur et la casquette du relanceur, les hommes de Dieter Hecking parviennent de plus en plus souvent à sortir de leur camp, quand les attaques bavaroises, elles, s’enlisent le plus souvent sans mettre en danger Diego Benaglio. Et dans les ultimes secondes du premier acte, Wolfsburg semble récompensé. Lewandowski repousse un coup-franc lointain brossé par Ricardo Rodriguez, mais le ballon revient sur Bas Dost, qui d’une volée limpide en pleine lucarne, inscrit son deuxième but de la partie.
Revenu du vestiaire avec deux buts d’avance, Kevin De Bruyne n’a pas pour autant l’intention de baisser le pied. Sur son premier ballon, il échappe de nouveau à Sebastian Rode, et pousse Bastian Schweinsteiger à la faute pour le stopper. S’il doit laisser ses coéquipiers en infériorité numérique quelques minutes le temps que sa cheville se remette du coup, son retour se fera remaquer. 53ème minute. Les 22 acteurs sont dans le camp wolfsbourgeois quand Maximilian Arnold lance De Bruyne, bien placé entre les défenseurs bavarois et la ligne médiane, évitant ainsi la position de hors-jeu. Jérôme Boateng et Dante ont beau sprinter vers leur but, il est déjà trop tard : plus vif, Kevin De Bruyne a pris une confortable avance, et ne laisse aucune chance à Manuel Neuer. 3-0, le Bayern est souillé, et KDB profite de son premier but de la soirée pour retirer son brassard noir et pointer le ciel de ses index gantés.
Mais Wolfsburg ne peut se permettre aucun relâchement, puisque Juan Bernat réduit le score moins de deux minutes plus tard, bien aidé par une mésentente entre Naldo et Benaglio. De Bruyne doit donc recommencer son festival, en commençant par un sublime contrôle orienté enchaîné d’une ouverture parfaite vers Caliguri. Quelques instants plus tard, il intercepte une balle à mi-hauteur en se retournant d’une touche de balle, poursuit par un grand pont sur Boateng avant de donner à Arnold pour lancer une nouvelle contre-attaque. On retrouve KDB à l’issue de celle-ci, qui transmet à nouveau à Arnold dont la frappe à l’entrée de la surface est captée. Pas question pour le Belge de voir le Bayern revenir au score. Alors quand à la 72ème minute, Benaglio sauve les siens d’une prodigieuse parade sur un coup-franc en puissance frappé par Arjen Robben, De Bruyne décide de clôre tout suspens. C’est encore Maximilian Arnold qui le lance dans le dos de Dante, qui parvient cependant à revenir à hauteur du meneur de jeu. Pas un souci pour KDB, qui fait danser le Brésilien en repiquant d’abord sur son pied droit, avant de feinter une frappe pour finalement se remettre sur son pied gauche et envoyer un missile qui prend la direction de la lucarne droite des cages gardées par Manuel Neuer. 4-1, Kevin De Bruyne n’aura plus besoin de briller pour que Wolfsburg conserve son avance. Il vient de faire tomber le Bayern Munich.
Point d’orgue d’une saison bouclée par une seconde place en Bundesilga, une Coupe d’Allemagne, 18 buts et 28 passes décisives, la prestation magistrale de Kevin De Bruyne face au Bayern l’aura tout bonnement fait changer de dimension. Huit mois plus tard, Machester City doit débourser près de 80 millions d’euros pour lui offrir un retour en Angleterre, au détriment d’un Pep Guardiola qui aurait préféré le voir prendre la direction de la Bavière. Qu’il se rassure, le Catalan finira par entraîner son protégé en terres mancuniennes.
« Tout le monde savait qu’à titre personnel, Junior était, peut-être, mon meilleur ami », disait Kevin De Bruyne. Cette victoire, couplée d’une passe décisive et d’un doublé était probablement le dernier cadeau qu’il a pu lui offrir.
Sources :
Crédit photos : Icon Sport