Le Corner
·12 mars 2020
Le Corner
·12 mars 2020
Les yeux des amateurs de football du monde entier se sont habitués à voir le maillot colombien sur la scène continentale, oubliant que pendant longtemps ce ne fût pas le cas. Si le football cafetero ne manque pas de talent, il a souvent, si ce n’est toujours, manqué de structures et de moyens financiers. Entre 1930 et 1989, la Colombie ne connaît qu’une participation au mondial. De même en club, avec une Libertadores qui reste pendant longtemps l’apanage des club uruguayens, argentins et brésiliens. À l’orée des années 1980 la donne va changer. Les narcotrafiquants vont investir dans le football colombien et ce dernier va connaître une grâce inattendue. Les décennies 80 et 90 deviendront celles d’un âge d’or, entre transferts gonflés, meurtres d’arbitres, football léché et victoire en Libertadores.
Du milieu des années 70 au début des années 90, Pablo Escobar et son cartel de Medellín dicte les règles d’un pays irrigué par l’argent de la drogue. Don Pablo, premier fournisseur de cocaïne du marché américain (il fournissait 80% du marché ndlr), a, à l’apogée de sa carrière criminelle, une fortune estimée entre 25 et 30 milliards de dollars ! Quand de telles sommes sortent des machines à billets, les investissements traditionnels dans la restauration ou l’immobilier ne suffisent plus. El patrón se met alors en tête de faire coup double : concilier sa passion du football et blanchir son argent.
Entre réelle passion et blanchiment d’argent
Il faut dire que la passion d’Escobar pour le football n’est pas feinte. Très vite, il a fait construire des dizaines de terrains de football dans les bidonvilles du pays. Terrains sur lesquels des jeunes, par la suite devenus professionnels, taperont dans leurs premiers ballons. Sur ses terrains sont organisés des tournois endiablés, avec parfois un discours de Pablo Escobar en ouverture, événements qui mobilisent tout le bidonville où on a pu voir s’exercer Luis Fernando « El Chonto » Herrera (61 sélections avec la Colombie ndlr), René Higuita (célèbre pour son coup du scorpion), Alexis García, Mauricio Serna ou encore Francisco Maturana.
« Je pouvais sentir les forces de police se rapprocher de nous et je paniquais. Pablo se tourne vers moi et me dis « Popeye ! », je pensais qu’on nous avait attrapés et j’arme mon M16, mais il a dit « la Colombie a marqué un but ! », le football était sa joie, son échappatoire » -- John Jairo Vásquez alias « Popeye» , tueur de Pablo Escobar, sur la passion de son patron pour le football (propos tirés de The two Escobars).
À l’orée des années 80, quand Pablo Escobar se met en tête d’investir dans le ballon rond, le football colombien n’existe pas à l’échelle mondiale. L’équipe nationale est moribonde et son championnat de bas niveau peine à connaître de bons résultats sur le plan continental. Escobar investit alors dans le club de sa ville natale : l’Atlético Nacional Medellín et son rival le Deportivo Independiente Medellín avec pour objectif avoué celui de gagner un trophée dont les Colombiens n’ont jamais vu la couleur : la Copa Libertadores.
Bien sûr, Pablo Escobar n’occupe pas officiellement les rôles de président, directeur sportif ou actionnaire majoritaire du club. C’est pourtant ce qu’il est officieusement ; et tout le monde en Colombie sait que ce sont ses clubs. On peut d’ailleurs régulièrement l’apercevoir dans la tribune présidentielle du stade Anastasio Girardot, enceinte que se partagent les deux équipes. Avec l’apport de l’argent de la drogue, instantanément la compétitivité des clubs de Medellín, et surtout de l’Atlético, augmente. Dès lors, le club a les moyens de garder ses meilleurs joueurs et peux recruter des talents. C’est la première fois qu’une équipe colombienne peut lutter au niveau continental. Il faut alors appréhender la fierté de millions de Colombiens, tous derrière l’Atlético, qui voient pour la première fois leur pays être associé à autre chose que la violence, la pauvreté et le trafic de drogue.
C’est qu’au-delà du simple blanchiment, le football devient une manière de mener des relations publiques, de faire oublier les horreurs commises par les cartels tout en gagnant en légitimité et en support au sein de la population. Sponsoring de programmes de jeunesses, financement de terrains de football sont aussi au programme dans les bidonvilles. En parallèle les recettes des stades – à une époque où tous les billets sont payés en cash -- sont gonflées et les montants des transferts sont artificiellement augmentés pour blanchir au mieux l’argent de la drogue qui coule à flots. Bref, la machine à sous fonctionne à plein régime dans une Colombie des années 80 qui voit son football prendre de nouvelles couleurs.
« Sans l’argent de la drogue, le football colombien n’existerait pas » -- Francisco Maturana, entraîneur de l’Atlético Nacional et futur sélectionneur (propos tirés de The two Escobars).
Devant la réussite que représente ce blanchiment d’argent à grande échelle, les autres cartels s’infiltrent dans la brèche. En 1983, le ministre de l’intérieur Rodrigo Lara Bonilla, qui sera assassiné un an plus tard, donne le nom de six équipes du championnat qui sont, selon lui, aux mains des narcos : à Medellín: l’Atlético Nacional et le Deportivo Independiente, à Cali : l’América, à Bogota : les Millionarios ainsi que les clubs de Santa Fe et du Deportivo Pereira. Parmi les têtes de gondoles du championnat: l’América est aux mains des rivaux de Pablo Escobar : les frères Miguel et Gilberto Rodríguez Orejuela et Gonzalo Rodríguez Gacha alias « El Mexicano », membre du cartel de Medellín est lui propriétaire des Millionarios. Ce qui passera à la postérité comme le narco-fútbol est alors en plein essor.
Pratiques mafieuses transposées au terrain de foot
Mais qui dit football mafieux dit méthodes qui l’accompagnent. Les matchs sont sujets à des paris énormes des narcos qui misent sur leur propre équipe. Inévitablement les billets et cadeaux hors de prix pleuvent sur les hommes en jaune. La donne est simple, l’arbitre est confronté à la légendaire maxime de Pablo Escobar : « plata o plomo », l’argent ou la mort. Lorsqu’un cartel parvient à soudoyer un arbitre, il n’est pas rare de voir le cartel adverse menacer ce dernier. La position des arbitres devient rapidement intenable et beaucoup préfèrent l’argent à la mort. D’autres, comme Álvaro Ortega, choisiront de rester intègres. En octobre 1989, il refuse un but à l’Independiente de Medellín qui affronte alors l’América de Cali. Cette décision lui coûtera la vie. Les mises avaient été si énormes sur ce match et de nombreux parieurs avaient perdus de l’argent, Pablo Escobar en tête. Moins d’un mois plus tard, Álvaro Ortega sera assassiné sur ordre de El Patrón. Ce cas est loin d’être isolé et plusieurs arbitres seront kidnappés ou assassinés durant cette décennie.
Pendant que la guerre des narcos fait des milliers de morts dans la rue, sur le terrain, c’est l’América de Cali qui brille nationalement avec cinq titres de champion entre 1982 et 1986. En parallèle, Escobar organise des matchs privés à son domicile où sont « conviés » les meilleurs joueurs du championnat, internationaux pour la plupart, pour affronter un onze concocté par El Mexicano. Les joueurs sont grassement payés et là aussi des paris sont en jeu avec des mises allant jusqu’à deux millions de dollars !
En 1987, les Millionarios d’El Mexicano remportent le championnat. Cela marque surtout un tournant pour l’Atlético Nacional. Francisco « Pacho » Maturana prend les reines de l’équipe. Avec son adjoint Hernán Darío Gómez, ils mettent sur pied une équipe composée exclusivement de joueurs colombiens qui passera à la postérité comme « Los puros Criollos » (comprendre « les purs colombiens »). Le groupe ne manque ni de charisme, ni de qualité avec André Higuita, gardien fantasque, Andrés Escobar, libero technique, le milieu défensif Leonel Álvarez, les attaquants J.J Tréllez et « El Palomo » Usuriaga. Francisco Maturana fera de cette équipe une machine de guerre, en faisant pratiquer à ses joueurs un style de jeu « léché » : le toque. Jeu en une touche de balle, redoublement de passes courtes, maîtrise du ballon dans les petits espaces, latéraux offensifs, portier à l’aise balle au pied, la patte Maturana séduit rapidement le public colombien et sera à la base du succès de l’Atlético Nacional, puis de l’équipe nationale.
El Profesor, la Libertadores et quatre-vingt huit attentats en six mois
En 1989, Pablo Escobar touche à son but : l’Atlético Nacional, déjà champion, est en finale de la Copa Libertadores. Pour ce faire, le club de Medellín est sorti deuxième de son groupe derrière les Millionarios. En huitièmes, ils ont écarté le club argentin du Racing puis retrouvé en quarts les Millionarios. Dans les deux rencontres disputées, l’Atletico s’imposera 2-1 au score cumulé. En demi, le Danubio de Montevideo est désossé six buts à zéro.
En finale se dresse face à eux le club paraguayen de Olimpia. Au match aller, à Asunción, avec Pablo Escobar dans les tribunes, les Colombiens s’inclinent deux buts à zéro. Au retour, dans une ambiance survoltée, Andrés Escobar est intraitable, René Higuita fantastique et à la fin du temps additionnel le score est de deux à zéro pour l’Atlético Nacional. Dans le stade Nemesio Camacho « El Campín » de Bogota (le stade de Medellín étant trop petit pour accueillir l’événement, la finale avait donc été délocalisée à Bogota), les cinquante mille spectateurs retiennent leur souffle durant des prolongations qui ne donneront aucun vainqueur.
La mythique séance de tirs au but qui a sacré l’Atlético Nacional champion d’Amérique du Sud (crédit vidéo: @Youtube, @DarioSerna1990).
La séance de tirs au but qui s’ensuit est étouffante. Sur les cinq premiers tireurs, un seul joueur échoue de chaque côté. René Higuita qui marque le cinquième tir au but devient impérial lors de la mort subite. Il détourne trois tirs paraguayens et quand ce n’est pas sa main salvatrice qui sauve l’Atlético, c’est le tireur paraguayen qui envoie sa frappe au dessus. Pourtant, en face, les joueurs de l’Atlético ont le pied qui tremblent. Trois tireurs échouent. Le salut vient alors de Francesco Maturana dont le surnom « El Profesor » prend tout son sens. Conscient que le gardien paraguayen se jette trop rapidement il demande à ses joueurs d’attendre le dernier moment pour déclencher leur frappe. Il faut attendre le neuvième tireur pour qu’il soit écouté. Leonel Álvarez fixe le portier paraguayen dans des secondes qui paraissent éternelles pour le crucifier à contre-pied. Tout Medellín et le pays tout entier peuvent enfin exulter. L’Atlético Nacional, en atteignant le pinacle sud-américain, rentre dans l’histoire en devenant le premier club colombien à remporter la Copa Libertadores. Un exploit que l’América de Cali n’était pas parvenu à réaliser avec ses trois finales perdues en 1985, 1986 et 1987.
« Pablo a sauté et crié à chaque but ! […] Je ne l’avais jamais vu aussi euphorique. habituellement c’était un bloc de glace » -- Popeye, sur la réaction de El Patrón à la séance de tirs au but (propos tirés de The two Escobars).
La fête qui s’ensuit au ranch de Pablo Escobar est dantesque et les joueurs sont largement récompensés. Pour le narco, les liens vont au delà de l’argent et les joueurs ont une admiration non feinte pour Pablo Escobar qui tient lieu de père et d’ami. El Patrón se sent proche des joueurs qui viennent du même milieu social que lui, à savoir le plus bas, celui que les huiles colombiennes ne veut pas voir. C’est là toute la dualité d’un homme qui aura causé la mort de milliers de personnes et qui demeurera adulé au sein des bidonvilles pour ses actions sociales. Si la fête est totale, elle ne fait oublier qu’un temps l’atmosphère de peur qui règne en Colombie.
« C’était l’époque des assassinats, des bombes, des problèmes sociaux, alors les gens se protégeaient et s’encourageaient lorsque nous gagnions, nous étions un palliatif pour la société » -- Alexis García, capitaine de l’Atlético Nacional sur la victoire en Libertadores (propos rapportés par RCNRadio).
Si le millésime 1989 sera celui de la Libertadores et de la qualification au mondial, c’est également une des années les plus sanglantes de l’histoire de la Colombie. Le narcoterrorisme provoquera quatre-vingt-huit explosions de bombes qui feront deux cent dix-huit morts entre août et décembre de cette seule année ! Sportivement, l’afflux de monnaie issue du narcotrafic coïncide avec l’émergence de l’une des générations les plus talentueuses que les Colombiens aient connu. Après le triomphe en Libertadores, Los Verdolagas continuent sur leur lancée et gagnent la Copa Interamericana (qui les opposent aux vainqueurs de la Ligue des champions de la CONCACAF ndlr) avant de s’incliner en finale de la coupe intercontinentale face au grand AC Milan de Marco Van Basten.
Politiquement, les États-Unis commencent à déclarer la guerre à la drogue et la donne change. L’extradition des dealers colombiens vers le pays de Ronald Reagan est désormais à l’ordre du jour. Afin d’y échapper, Pablo Escobar se fait élire à la chambre des représentants pour bénéficier de l’immunité diplomatique. Un poste qu’il perd quasi instantanément après la preuve de ses agissements criminels. Dans une dérive mégalomane et vengeresse, il fait assassiner tous ses opposants dont le candidat libéral à la présidence Luis Carlo Galán. Toujours plus loin dans la folie il fait sauter un avion dans lequel devait être présent César Gaviria. Bilan : plus d’une centaine de victimes innocentes. En guerre ouverte avec l’Etat, il fait plus de cinq cents victimes dans les rangs de la police.
En 1990, la Colombie se qualifie pour la Coupe du monde italienne après un barrage vainqueur face à Israël. Une première depuis vingt-huit ans. Avec une ossature de l’Atlético Nacional, neuf joueurs sur vingt-trois et Carlos Valderrama en meneur de jeu, l’équipe nationale qui retrouve la scène internationale devient la fierté des Colombiens. L’équipe échouera en huitième de finale face au Cameroun de l’indomptable Roger Milla, mais la performance des Cafeteros est tout de même encourageante avec notamment un nul face à la RFA de Lothar Matthäus, future championne du monde.
Apogée du Toque et match carcéral avec Maradona en guest
En 1991, l’Atlético gagne son cinquième titre de champion de Colombie et Pablo Escobar a réussi à éviter l’extradition vers les États-Unis en soudoyant des hommes politiques. Toutefois, il va devoir être incarcéré en Colombie… à ses propres conditions ! Il fait construire la Catedral, une prison immense et luxueuse avec terrain de football, bar, jacuzzi, où prostituées et drogue sont monnaie courante. De cette cage dorée, il continue à gérer ses différents business. Plus fou encore, un après-midi il invitera même Diego Maradona et l’équipe nationale colombienne à venir faire un match au sein de sa prison. On ne dit pas non à celui qui est alors l’homme le plus puissant de Colombie. Les joueurs sont amenés à la prison où ils disputeront un match. Sur place, ils peuvent voir Pablo Escobar, ailier gauche droitier se mesurer au gratin sud-américain de l’époque. Surréaliste et peut-être trop gros pour être vrai puisque El pibe de oro est récemment revenu sur ses propos et a démenti avoir réellement participé à un match à la Catedral (lors d’une interview donnée à la chaîne argentine TyC Sports ndlr).
Sur leur chemin du retour ils sont immortalisés par des caméras et René Higuita s’arrête pour répondre aux questions des journalistes. Grosse erreur, instantanément le scandale est énorme. Le portier est pointé du doigt pour assumer son lien avec les narcos, il est même accusé par la justice colombienne d’avoir été médiateur dans un kidnapping. Il sera innocenté mais ne pourra pas participer au mondial 94 aux États-Unis qui s’annonce déjà comme historique.
« J’ai été amené dans une prison entouré d’une centaine de gardes, […] je me suis dis « Putain qu’est ce qu’il se passe ? Je suis en état d’arrestation ? » L’endroit ressemblait à un hôtel de luxe. Ils m’ont dit Diego voici le patron. […] Je ne lisais pas les journaux et je ne regardais pas la télévision, je n’avais aucune idée de qui il était ! Nous nous sommes rencontré dans son bureau et il m’a dit qu’il adorait mon jeu et qu’il s’identifiait à moi parce que, comme lui, j’avais triomphé de la pauvreté » -- Diego Maradona sur son match à la Catedral (propos rapportés par Fourfourtwo).
Sur la route du mondial, les Cafeteros impressionnent. Sur vingt-six matchs, ils n’en perdent qu’un. Maturana, déjà derrière le succès de l’Atlético a su faire progresser une équipe qui devient irrésistible. C’est l’apogée du toque, ce jeu fait de redoublement de passes, dicté par El Profesor. Un style flamboyant personnifié par la claque cinq buts à zéro infligée à l’Argentine lors du match d’appoint pour la qualification à la Coupe du monde. La démonstration est totale pour des Colombiens qui avaient été accueillis aux cris de « dealers de drogue » à l’aéroport de Buenos Aires. À la fin du match, ils sont même ovationnés par la public argentin et apparaissent alors aux yeux de Pelé comme un potentiel vainqueur de la compétition.
La victoire cinq buts à zéro face à l’Argentine marquera les esprits et fera figure d’apogée du jeu colombien de l’époque (Crédit vidéo: @Youtube, @andrewfpb).
Dans cette sélection on retrouve, de nouveau, une ossature made in Atlético Nacional (six joueurs sur vingt-deux). El Tricolor, même si elle est privée de René Higuita pour le mondial, ne manque pas de qualité avec, en têtes d’affiches : l’élégant défenseur Andrés Escobar, le soyeux Carlos Valderrama et la fusée Fausto Asprilla. Tous les arguments sont bons pour faire oublier aux Colombiens leur réalité de nation la plus violente du monde. Dans une des décennies les plus sanglantes de son histoire, le peuple colombien déchiré par la guerre des drogues et les multiples dissensions trouve enfin un motif de fierté et d’unité dans le football.
Fiasco du mondial 94 et démons du passé
Pablo Escobar n’aura pas le temps de voir le Mondial 1994, il est assassiné quelques mois plus tôt, en décembre 1993. Les narcotrafiquants ne désertent pas pour autant l’arène footballistique. Le parfum sulfureux des narcos continuent de flotter autour du football colombien. Le fiasco total du mondial en sera le meilleur exemple. Une pression démesurée sur les épaules des joueurs et un contexte extra sportif dévorant auront raison des performances sportives de El Tricolor. Les menaces sur les joueurs pleuvent : après la défaite inaugurale face à la Roumanie, le fils de Luis Fernando Herrera est kidnappé puis relâché. Quelques jours plus tard Gabriel « Barrabas » Gómez, frère de l’adjoint de Maturana, est menacé de mort.
« Ils viennent de nous menacer, Barrabas. Si tu joues aujourd’hui, ils vont te tuer, et moi et ma famille, m’a dit Maturana, […] On n’a jamais su d’où venaient ces menaces. Il y avait des intérêts qui nous échappaient, des ventes de joueurs liés aux narcotrafiquants, notamment ». -- Gabriel Jaime Gómez (propos rapporté par Le Monde ).
Le joueur prend instantanément sa retraite. Une défaite face aux États-Unis et une victoire anecdotique plus tard, les joueurs sont de retours en Colombie dans une ambiance explosive. Maturana prend ses responsabilités et démissionne. Comme un rappel que la violence physique directe n’a pas disparu avec la mort du trafiquant, Andrés Escobar est descendu quelques jours après son but contre son camp synonyme d’élimination au mondial américain de 1994. L’émotion est énorme dans le pays.
Pourtant le narco-fútbol continue d’exister à visage (presque) découvert. En 1998, un rapport de la super-intendance des sociétés, l’organisme chargés des contrôles fiscaux, explique que les Narcos ont encore des parts dans l’Atlético Nacional, les Millionarios, l’América, le Deportivo Cali et le club d’Envigado. Ils apparaissent sous des prête-noms mais demeurent les actionnaires majoritaires. Les résultats sportifs sont tout de même moins flamboyants, notamment sur la scène continentale. C’est aussi la fin du succès de l’équipe nationale colombienne. Malgré sa qualification à la Coupe du Monde 98, l’équipe nationale passe du 4ème au 34ème rang mondial et ne connaîtra plus la saveur d’un mondial pendant seize ans.
Depuis ? En 2011, Don Lucho est arrêté. Le narco blanchissait son argent dans le club de Santa Fe, preuve que les démons d’hier ne sont pas les chimères d’aujourd’hui. En 2012, le président des Millionarios a annoncé vouloir renoncer à deux titres conquis dans les années 80 (1987 et 1988). Une manière, selon lui, d’améliorer l’image du club et de faire table rase du passé ou comment gommer des souvenirs glorieux mais un peu honteux. C’est la première fois qu’un président de club colombien reconnaissait explicitement les liens qu’entretenait son club avec les narcos. L’initiative a reçu un accueil mitigé. Son homologue de l’Atlético Nacional, Juan Carlos de la Cuesta a, quant à lui, rétorqué: « On est tranquille avec nos titres, s’il y a des preuves, qu’ils les montrent ».
Le football n’a pas échappé à l’investissement du milieu criminel. En Colombie, celui des narcos et du plus connu de tous, Pablo Escobar, aura fait connaître au peuple colombien l’une de ses plus belles pages footballistiques. Profitant d’une génération dorée et de moyens illimités qui auront abouti aux succès en Libertadores et les qualifications en Coupe du monde, les Colombiens ont pu, un temps, profiter de l’unité et faire connaître leur pays au-delà de son statut de pourvoyeur de cocaïne. Ces succès ne doivent pas occulter la violence d’une époque où la mort pouvait se trouver partout, à commencer par le terrain de football. Les narcos auront autant contribué au succès du football colombien qu’ils auront causé sa perte ; le fiasco du mondial 94 et l’assassinat d’Andrés Escobar en sont les meilleurs exemples. Aujourd’hui, les narcos sont moins liés aux clubs colombiens mais demeurent rattachés à leurs histoires. Sportivement, la victoire de l’Atlético Nacional en 2016 en Libertadores cache mal une réalité difficile : sur les quatorze équipes que compte le championnat colombien, la majorité est menacée de banqueroute. Difficile de dire si le football colombien est désormais loin des narcos, le crime organisé demeure prégnant en Colombie, les dépêches qui paraissent nous le rappellent chaque jour. Preuve que si Pablo Escobar est désormais décédé, les vieux démons du football colombiens ne sont pas morts, ils sommeillent.
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