UltimoDiez
·3 avril 2019
UltimoDiez
·3 avril 2019
De retour en équipe de France, Layvin Kurzawa reste un joueur peu apprécié des fans de football. La faute à des prestations parfois inégales, mais surtout à une image mal construite et écornée au fil du temps.
Clairs comme du cristal, ses yeux bruns renvoient l’assurance d’une force tranquille. Le ton, lui, est timoré. «Ce n’est pas la bonne image de moi car je ne suis pas un chambreur», soufflait Layvin Kurzawa en octobre 2014 à Téléfoot, au moment d’évoquer son geste polémique avec l’équipe de France espoirs. Le latéral gauche pensait avoir qualifié les Bleuets pour l’Euro 2015 après ce but en barrages contre la Suède, à la 87e minute (3-1). Il fixe alors les Suédois en plaçant sa main à l’horizontale juste au-dessus de ses sourcils, sourire jusqu’aux oreilles. Une moquerie que les joueurs en jaune et bleu ne se privent pas de copier après leur but à la 89e minute, qui anéantit tout espoir français de championnat d’Europe. On peut souligner que Kurzawa répondait déjà à une provocation suédoise suite à leur troisième but. Ou se fier à Kiese Thelin, auteur d’un doublé : «L’ambiance sur le terrain ? Les Français étaient trop arrogants, comme d’habitude.» Quoi qu’il en soit, la France n’a pas oublié le geste de Kurzawa.
Cet épisode n’est qu’une des nombreuses embûches qui ont semé la carrière du natif de Fréjus, fils d’un Guadeloupéen et d’une Polonaise. Kurzawa a grandi sur les bords de la Méditerranée et résidait encore dans sa ville natale à 17 ans, alors qu’il avait rejoint le centre de l’AS Monaco deux années plus tôt. Avant cela, l’attaquant (son poste jusqu’à 14 ans) a porté le maillot de l’ES Fréjus, où il a côtoyé… Earvin Ngapeth, champion du monde de volley-ball avec la France en 2015. «Lors d’un tournoi, on perdait et l’entraîneur l’a fait entrer à ma place. J’avais boudé, mais il a planté des buts et on a gagné», a révélé le volleyeur au Parisien. Un mois avant de passer à l’âge adulte et faire ses débuts en pro, Layvin Kurzawa renvoie l’image d’un garçon sage, presque casanier. «Mes parents ont été séduit par Monaco car c’est très sécurisé, très propre, racontait-il à Planète-ASM. Et pour moi, rien que de savoir que j’étais proche de mes parents m’a permis de me sentir bien.»
Remplaçant peu utilisé en Ligue 2, le latéral gauche devient titulaire lors de la remontée de l’AS Monaco parmi l’élite, en 2013. Dès sa première saison, il intègre l’équipe-type UNFP de Ligue 1. Layvin n’a que 21 ans mais il toque fort à la porte de l’équipe de France, qu’il découvre en novembre 2014. Un appel de Didier Deschamps qui survient moins d’un mois après ses déboires face à la Suède. Kurzawa assume alors son erreur, affirmant que même si John Guidetti fut le premier à chambrer, «ce n’est pas une excuse. Il l’a fait et au bout du compte c’est lui qui a gagné». Néanmoins, il confesse la difficulté de passer à autre chose vis-à-vis des fans. «Les réseaux sociaux, je n’y suis pas allé pendant une semaine. J’ai essayé de moins sortir de chez moi car je savais qu’on pouvait me faire le geste. Après voilà, les gens me chambrent avec ça mais je continue à progresser. Ça m’a servi de leçon. C’est un geste que je ne referai plus, mise à part quand il y a du soleil», plaisante-t-il.
Bref. Kurzawa va de l’avant. Il atteint les quarts de finale de la Ligue des champions avec Monaco et dispute pas moins de 39 rencontres. Tout lui réussit. Et, paradoxalement, le petit aboutissement qui arrive sera le début des problèmes. S’il débute la saison 2015-2016 en Principauté, Layvin Kurzawa rejoint le Paris Saint-Germain le 27 août, contre 25 millions d’euros. Son rôle se limite alors à celui de doublure d’un infatigable Maxwell. L’international français ne connaît que 14 titularisations en championnat et ne prend part qu’au dernier match de poule de la Champion’s League. L’année 2016 sera un calvaire pour Kurzawa, du point de vue du terrain et surtout en terme d’image.
Très vite, Layvin n’a plus rien du garçon innocent de Fréjus. «Je passe de Monaco, une petite ville près de mes parents, à Paris, la capitale, les boîtes de nuit et tout ce qui va avec, a reconnu Kurzawa en mars 2019 à Canal+. J’ai eu cette période où j’étais perdu. Je pensais au foot sans y penser. Je me disais que j’allais aller m’amuser car demain on a entraînement l’après-midi. Je n’étais pas aussi professionnel que j’aurais dû l’être.» En mars 2016, il partage fièrement un tatouage impressionnant qui recouvre l’intégralité de son torse. Plus tard dans l’année, son bras gauche entier et sa main droite y passeront, renforçant un look auquel le public français ne goûte que modérément (on ne mentionne pas ses folies capillaires). Cela s’apparente à un détail, mais c’est l’empilement de ces derniers qui fait déborder le vase. Au mois de mai, son nom (comme ceux de Jérémy Menez, Samir Nasri et des centaines de personnalités) est cité dans une affaire de fraude au permis de conduire révélée par le Parisien. A la même période, on le voit au sein d’un clip de Booba, «Walabok». Il n’y a bien sûr aucun mal à cela. Mais à l’ère des réseaux sociaux, il est difficile pour un footballeur d’apparaître ailleurs que sur le gazon lorsque les supporters sont insatisfaits de ses prestations. Ainsi, Kurzawa devient rapidement un bouc émissaire, lui à qui le poste de titulaire à gauche semble promis la saison prochaine.
Oui mais voilà, Layvin Kurzawa ne va tout simplement pas franchir un cap. Il inscrit même un but contre son camp lors du naufrage à Barcelone (6-1) en Ligue des champions. Malgré ces hauts et ces bas à Paris, Didier Deschamps lui confie le poste d’arrière gauche lors des éliminatoires du Mondial 2018. «Cela me fait penser à un enfant qu’on envoie en colonie de vacances», explique Bruno Salomon, journaliste et suiveur du PSG de longue date chez France Bleu, pas du tout convaincu par le niveau du Parisien. Ces convocations, un bien… pour un mal. Le match nul des Bleus face au Luxembourg (0-0) le 3 septembre 2017 ne passe pas. Et Kurzawa, auteur de 17 centres dont 0 réussi, prend pour son grade. «Kurzawa, c’est épouvantable, il a été nullissime, vocifère Jean-Michel Larqué. Quand vous manquez un centre en vous appliquant, ce n’est pas grave, vous vous êtes appliqué. Lui, il a fait 17 centres comme si c’était le roi du centre. Il n’en a pas réussi un sur 17.»
De l’acharnement ? Il faut dire que l’ancien Monégasque a mal communiqué cet été, défrayant la chronique à cause d’un clip tourné lors de ses vacances. Sur «All Eyez On Me» (Tous les regards sur moi) de Tupac, Kurzawa imite le rappeur américain, bandana sur la tête et villa avec piscine en décor. Pas le meilleur plan dans l’optique de regagner l’estime des supporters. En novembre, une nouvelle histoire va le secouer : il existe une vidéo où le joueur critique de manière virulente Didier Deschamps. Victime de chantage, Kurzawa alerte rapidement le sélectionneur qui ne lui en tiendra pas rigueur. «Layvin, c’est un être humain, il a des parents, de la famille, et ces gens-là prennent ça de plein fouet, rappelle le champion du monde 98. Ce serait bien qu’il y ait par moments un peu de bienveillance, d’empathie. Ce qui n’empêche pas la critique sportive.» 2017-2018 démarre mal. D’autant plus qu’une arrivée au Paris SG a déjà complexifié sa tâche.
Yuri Berchiche n’a jamais été officiellement présenté par le club. Sa venue a longuement fait rire les observateurs. Recrue labellisée Unai Emery, le joueur basque (27 ans) arrivée de la Real Sociedad n’a rien d’un grand. Sauf que Berchiche est l’anti-Kurzawa. Travailleur consciencieux et discret, il évite tout jeu de comm’ sur les réseaux sociaux. Sa grinta à chaque rendez-vous fait chavirer le cœur des supporters. Certes, Berchiche n’est pas un joueur de calibre Ligue des champions. Mais les amoureux du PSG ne trouvent rien à lui reprocher au moment de son départ l’année suivante, et regrettent de conserver Kurzawa à sa place. Ironie du sort : c’est un autre Espagnol, Juan Bernat, qui lui vole la vedette cette saison avec la même recette. Un joueur légèrement limité, mais jamais un mot au-dessus de l’autre, combatif et volontaire (et buteur en C1 qui plus est). Ces comparaisons ont conforté l’image négative que le monde du foot s’est créé de Kurzawa, copieusement insulté dans une vidéo suite à l’humiliante élimination par Man Utd (2-0, 1-3) alors qu’il… n’avait pas joué.
Layvin Kurzawa fait partie de ces mal-aimés du football français. A raison ? Rien ne justifie les flots de haine dont lui ou n’importe quel autre footballeur peuvent faire l’objet. Si l’on mentionne ses tatouages ou son copinage avec Booba, il convient aussi d’évoquer son implication auprès d’enfants malades, à travers la Fondation PSG ou l’association Cékedubonheur. Blessé pendant de longs mois en raison d’une pubalgie puis d’une hernie discale, il n’a débuté sa saison qu’en janvier dernier. Ses difficultés lui ont fait se questionner sur son avenir dans le football. «J’étais au fond du trou, confesse-t-il à Canal+. Je n’ai pas de mots pour l’expliquer. J’ai eu deux années où c’était compliqué mentalement et physiquement.» Pour sa première titularisation le 20 février dernier, contre Montpellier, il s’offre un but et deux passes décisives au cours d’une large victoire (5-1). « Ça fait du bien, sourit-il. J’en avais besoin.» Ni flamboyant ni exaspérant en cette fin d’exercice 2018-19, Kurzawa loue la naissance de sa fille en septembre dernier 10 jours après ses 26 ans. Un événement qui lui a «redonné la force» dont il avait besoin. Le latéral gauche a toutes les cartes en main afin de gagner en maturité et effacer sa piètre réputation. «J’ai été jeune, on m’a beaucoup critiqué, se rappelle-t-il. Aujourd’hui les gens qui parlent… limite je n’en ai rien à foutre. Ça ne m’atteint plus. Je suis père de famille aujourd’hui. J’étais vu comme un petit con, mais je n’ai jamais été un petit con.»
Dans la force de l’âge, Layvin Kurzawa serait très apprécié de Thomas Tuchel selon L’Équipe et discuterait d’une prolongation de contrat, le sien arrivant à expiration en juin 2020. La concurrence s’avère rude avec Juan Bernat, mais son retour en équipe de France ne peut que renforcer sa confiance. Les enjeux de la fin de saison parisienne sont minimes. Kurzawa, lui, compte bien profiter de chaque minute. Et tourner la page pour de bon.
Crédit photo : Thomas SAMSON / AFP